jeudi 30 octobre 2014

Tutu

On n'est pas sérieux quand on est un Chico Mambo... Ou du moins c'est ce que voudrait nous faire croire la troupe, dans une succession rythmée de vingt tableaux détournant non seulement les classiques du ballet, tels ce Lac des Cygnes mué en danse des canards hip hop, ou encore les grandes icônes de la danse contemporaine (les pleureuses antiques en tuniques et perruques, référence à Pina Bausch), ou bien encore les grands rendez-vous de la danse populaire, tel Danse avec les stars.
 
Peut-on pour autant réduire le spectacle à l'exposé d'une vision ironique du monde de la danse dans toutes ses composantes ? Cela serait faire l'impasse sur l'inventivité propre de la compagnie, qui se vérifie à travers des séquences plus intimistes, comme celles du voltigeur au bout de sa corde, jouant de ses voiles qui tourbillonnent autour de sa silhouette tendue. Cela serait oublier aussi l'originalité des costumes qui font référence aux animaux (plumes ; laine ; fourrure, etc.) et aussi, plus généralement, au monde de l'enfance (voir le numéro des légumes qui tourbillonnent comme pris dans une cocotte-minute, des bébés en couche-culottes qui rampent et font des roulades sur le sol). Cela serait enfin oublier un certain propos social, lorsqu'il est question du regard que le grand public jette sur les danseurs (forcément homo ou bisexuels), séquence parlée qui vient conclure une démonstration de haka par un de nos six protagonistes à la fois rugbyman all-black et danseur tutu.
 
On le voit, le spectacle n'hésite pas à bousculer nos préjugés en nous livrant une vision originale du monde de la danse, de biais, à distance, tout en nous présentant des danseurs de grande qualité, tous excellents transformistes notamment lors des séquences transgenre où les hommes chaussent leurs talons aiguilles avant d'aller danser un tango endiablé, tout en jambes. Les spectateurs passent un excellent moment, entre étonnement, surprise et rire aux larmes, car avec les Chicos Mambo, danse et rire font bon ménage !
 
Un petit focus sur le chorégraphe et les interprètes :
  •  Philippe Lafeuille, chorégraphe, fondateur de la compagnie des Chicos Mambo en 1994. Sa carrière se développe sur deux axes : une grande exigence technique, d'une part, et une envie de briser les cadres établis, d'autre part, en vue de faire évoluer la vision de la danse en la rendant moins difficile, moins intimidante, quitte à abandonner l'idée d'une certaine pureté, faisant ressortir le caractère métissé de son inspiration dans un effort pour rendre la danse plus accessible ;
  • Loïc Consalvo, le plus classique de nos six danseurs, issu de l'opéra de Lyon et des Ballets Trockadero de Monte-Carlo ;
  • Anthony Couroyer : bien qu'il soit issu du cadre classique de l'Ecole de Danse de l'Opéra de Paris, on sent néanmoins les inspirations jazz/hip-hop/danse contemporaine qui l'ont également nourri ;
  • Mikael Fau, issu du Centre de danse James Carlès de Toulouse ;
  • Pierre-Emmanuel Langry, aussi bien acteur de théâtre que danseur accompli ;
  • Julien Mercier, dont le talent de danseur se double de celui d'acrobate aérien ; et enfin
  • Alexis Ochin, aussi à l'aise en tant que danseur, mime, marionnettiste et comédien (il a suivi la formation de l'Ecole internationale de Théâtre Lassâad de Bruxelles).







La tour Eiffel au jour le jour (jeudi 30 octobre 2014 ; neuf heures et demi)




mercredi 29 octobre 2014

Lilting ou la délicatesse

Film britannique de Hong Khaou (Lilting), avec Ben Whishaw, Chen Pei Pei, Naomi Christie, Peter Bowles et Andrew Leung. Sortie française le 15 octobre 2014.

Lilting (terme désignant un genre rythmé et sentimental de la variété singapourienne) nous conte le chemin parcouru par Richard, dont l'amant Kai vient de mourir dans des circonstances tragiques, pour se rapprocher de Junn, la mère de ce dernier, dame restée profondément attachée à ses racines et non-anglophone. Au terme de ce rapprochement, et après une scène cathartique au cours de laquelle les deux personnages expriment les griefs qu'ils ont l'un pour l'autre, Richard et Junn seront en mesure de faire leur deuil de l'être qu'ils chérissaient le plus au monde d'une manière apaisée, ayant dépassé l'incompréhension qui les murait dans leur douleur, chacun de leur côté.

Cependant, pour reprendre une citation de Lao-Tseu, le chemin que l'on parcourt est plus important que le but poursuivi, et le film s'attache à suivre les petits pas qui insensiblement rapprochent Richard de Junn, par l'intermédiaire d'une traductrice, Vann, que Richard engage pour sortir  Junn de l'isolement dans lequel elle se retrouve plongée au sein de la maison de retraite dans lequel son fils l'a placée, et aussi par l'intermédiare d'Alan, un vieillard encore vert qui partage le sort de Junn et qui, séduit par cette dernière, la poursuit de ses assiduités. Vann est chargée dans un premier temps de faire le lien entre les deux anciens, mais de plus en plus son action se déplace de la relation nouée entre Junn et Alan vers celle qui se noue entre Richard et Junn. Vann aide ces deux derniers à évacuer les non-dits qui empêchent toute véritable communication en les orientant vers une expression sincère de leurs griefs respectifs pour ensuite mieux les dépasser et aboutir à une relation sincère, directe, d'où naît une certaine tendresse.

La comédienne Chen Pei Pei campe une femme asiatique d'un certain âge, attachée à ses racines, avec une réalité bouleversante, en s'exprimant brutalement, sans chichi, "brut de décoffrage", jusqu'à ce qu'elle finisse par être touchée et s'ouvrir à l'attention pleine d'affection que lui témoigne son "beau-fils".

Ben Whishaw, jeune acteur britannique d'une trentaine d'années, dont le physique romantique avait déjà été mis à contribution pour Bright Star de Jane Campion où il jouait le rôle du poète anglais John Keats, ou dans le court-métrage Baby, entre autres, campe son personnage avec une sensibilité et une délicatesse touchantes. Il pleure beaucoup, il a un jeu qui peut paraître bien affecté, tout en parvenant à rendre son personnage crédible et à susciter la compassion du spectateur.

Le réalisateur Hong Khaou a trouvé avec ce film une manière originale de traiter de la trans-culturalité. A noter les belles images que nous offre le film, pourtant tourné en grande partie dans une maison de retraite au décor résolument fifties, d'époque. Cette attention portée à l'esthétique des images était déjà évidente dans son court-métrage Spring, appliqué cette fois à une situation moins originale de rapports sado-masochistes nouée entre deux hommes. Un réalisateur qui certainement mérite que l'on s'intéresse aux futurs projets.








La tour Eiffel au jour le jour (mercredi 29 octobre 2014 ; neuf heures et demi)




mardi 28 octobre 2014

Le Labyrinthe

Film américain (The Maze Runner) réalisé par Wes Ball, avec Dylan O'Brien, Aml Ameen, Ki Hong Lee, Blake Cooper, Will Poulter, Kaya Scodelario, etc. Sortie française le 15 octobre 2014.

Le Labyrinthe fait partie de ces teen movies visant plus particulièrement un public adolescent, en raison de l'âge de ses protagonistes, de sa focalisation sur des mondes virtuels, du côté spectaculaire de ses images ainsi que du tempo accéléré de l'action qui se déroule à l'écran.

Thomas, le héros du film, est projeté dans un monde inconnu, au milieu d'une tribu de jeunes gens qui partagent le même sort, celui d'êtres humains condamnés à survivre au sein d'un monde clos la plupart du temps, exception faite pour les "coureurs", sorte d'unité d'élite chargée d'explorer le labyrinthe au centre duquel le territoire des adolescents est situé. La connaissance et la cartographie du Labyrinthe sont compliquées par les transformations régulières de cet environnement au fil des jours, et aussi par la présence de "griffeurs", sortes d'araignées bioniques patrouillant les allées du Labyrinthe, se jetant sur le moindre intrus qu'elles repèrent en le lascérant de leurs griffes affûtées.

Les enfants, qui se retrouvent sur un territoire limité constitué de prairies et de bois au centre du Labyrinthe, comme sur une île déserte, tentent de survivre au jour le jour en construisant des abris, en cultivant des potagers, etc. Au-delà de cette sorte de routine, ils comptent également sur les coureurs pour entretenir leur espoir de pouvoir sortir un jour du monde limité dans lequel ils se sont retrouvés sans en comprendre la raison, et dont ils continuent de croire qu'une issue existe, quelque part, même si tout porte à leur faire croire qu'ils sont condamnés à ne jamais sortir du Labyrinthe.

A partir du moment où Thomas les rejoint, ce dernier, plus curieux, persévérant et courageux que les autres, ravive leur espoir d'un prochain élargissement, d'un retour imminent à une vie normale où ils seraient entourés de l'amour de leur famille dont ils ressentent confusément le manque, même si leurs souvenirs d'une vie antérieure hypothétique semblent avoir été effacés.

Leur recherche est le prétexte de scènes de bataille spectaculaire contre les griffeurs, contre le Labyrinthe également, dont les parois mouvantes manquent d'écraser ceux qui s'aventurent à l'extérieur du pré carré. Sous l'influence de Thomas qui fait souffler un vent nouveau sur la communauté, les enfants s'affrontent également entre eux pour l'obtention du leadership (et nous ne sommes alors plus très loin du livre de William Golding, Sa majesté des mouches).

Ainsi, entre ceux qui penchent pour la consolidation de la vie précaire qu'ils menaient jusqu'alors au sein du Labyrinthe, et ceux qui, avides de découvertes et confiants dans leur capacité à découvrir une porte de sortie, veulent mener leurs compagnons à pousser plus loin leurs recherches, quitte à s'éloigner de leur pré carré et au risque de dangers mortels, Thomas parvient à relier l'opinion générale à celle des plus aventureux. Les enfants, au prix d'immenses sacrifices découvriront alors les raisons qui les ont privés de leur liberté en même temps que le monde extérieur... bien que ce dernier ne corresponde pas aux espoirs qu'ils nourrissaient.

Les références à l'univers adolescent contemporain sont nombreuses : ainsi, certains membres de la communauté, à partir du moment où ils se font piquer par les griffeurs, développent les symptomes d'une démence qui n'est pas sans rappeler les films de zombies qui peuplent l'imaginaire des teenagers. Par ailleurs, la nature qui les entoure est montrée sous un jour hostile, un environnement dont il faut se méfier et contre lequel il convient de se protéger. Un message convenant parfaitement aux adolescents des villes qui auraient tendance à se détourner de l'environnement naturel, en focalisant leur attention sur les mondes virtuels d'internet et des jeux vidéo, et dont les sorties se limiteraient aux visites rendues aux centres commerciaux.

Un film divertissant, alors, mais qui va dans le sens des préjugés du public qu'il vise d'un point de vue marketing, sans chercher à le tirer, ne serait-ce qu'un tout petit peu, hors de sa zone de confort. 



La tour Eiffel au jour le jour (mardi 28 octobre 2014 ; neuf heures et demi)




dimanche 26 octobre 2014

Week-end australien

Week-end tranquille, durant lequel je profite d'internet à nouveau disponible dans mon appartement, en surfant au hasard de mes centres d'intérêt qui me conduisent à revenir sur deux de mes films préférés, sortis tous les deux en 1994 et tous deux tournés en Australie, par des réalisateurs locaux. Il s'agit de Muriel's Wedding (P.J. Hogan) d'une part, et de Priscilla, folle du désert (Stephan Elliott) de l'autre.

Grande par la surface, modeste par la population, l'Australie fait figure de "tribu blanche" de l'Asie du Sud-Est. Une connaissance m'avait fait remarquer dans les années 1990 que ce pays comptait peu d'entreprises d'envergure mondiale, et que son économie restait très dépendante de l'exploitation minière.

Pour compenser ce manque relatif de visibilité, l'Australie joue sur tous les tableaux : en utilisant le hard power, elle tente de s'imposer sur la scène mondiale à coups d'interventions militaires spectaculaires, notamment au Moyen-Orient, ou encore en donnant vigoureusement de la voix dans d'autres affaires mondiales, comme récemment lors des crashes successifs de deux aéronefs de la Malaysia Airlines, que ce soit en Asie du Sud-Est ou au-dessus de l'Ukraine orientale. L'Australie est un pays du Commonwealth, et la manière dont son gouvernement met les pieds dans le plat (Daesh, Ukraine, Malaisie, etc.) s'inscrit dans le style incisif caractéristique de la diplomatie des pays anglo-saxons.

Au niveau culturel, l'Australie joue également habilement de son soft power pour promouvoir l'image d'un pays libre, où il fait bon vivre dans une atmosphère détendue et prospère. C'est ainsi que le cinéma australien a fait une percée spectaculaire dans les années 1990 avec Muriel et Priscilla. P.J. Hogan a su toucher de nombreux spectateurs à travers le monde en dressant le portrait d'une jeune fille issue d'une famille dysfonctionnelle de la classe moyenne d'une petite ville de province, systématiquement dénigrée et rabaissée par les siens, mais qui néanmoins choisit de relever la tête en partant faire sa vie à Sydney envers et contre tout. Là, elle veut vivre une vive de rêve, du moins en apparence, en faisant un mariage de complaisance avec un beau nageur sud-africain afrikaner de haut niveau : elle lui donne les papiers pour qu'il puisse continuer de concourir au plus haut niveau ; il lui donne le vernis de réussite dont elle a besoin pour prendre sa revanche.

Tony Collette est particulièrement touchante lorsqu'elle répond à son nouveau mari, alors qu'il lui expose les raisons de sa motivation : "Moi aussi, je suis une gagnante". Finalement, Muriel, qui s'est rebaptisée Mariel pour tenter d'oublier son passé de souffre-douleur, apprendra à s'accepter, en rejetant la vie parfaite mais artificielle qu'elle se sera créée.

Dans un autre genre, tout aussi pop, l'intérêt de Priscilla, folle du désert provient de la confrontation entre l'Australie profonde des rednecks et des aborigènes, et l'Australie "lancée" des drag queens de Sydney. L'incompréhension mutuelle, la provocation de part et d'autre font rapidement place à la curiosité puis à l'acceptation de mondes qui s'ignorent habituellement. On est tour à tour admiratifs vis-à-vis du courage des drag queens qui n'hésitent pas à se montrer telles qu'elles sont, même dans les endroits les plus incongrus (villes minières, etc.), puis touchés par la sensibilité qui poind derrière leurs airs bravaches. Finalement, elles forcent le respect des personnages variés qu'elles sont amenées à rencontrer.

Aujourd'hui, le flambeau du soft power australien est repris par la web série The Horizon, sorte de Friends gay qui raconte les aventures de colocataires dont la vie orbite autour de Wylma, une drag queen du quartier LGBT de Sydney, The Oxford. Cette série aux personnages attachants dynamite le business model des productions audiovisuelles habituelles -- elle est disponible gratuitement sur YouTube et ne bénéficie que de financements modestes provenant de sponsors privés (marques de vêtements australiennes) et publics (Aids Council of New South Wales), en échange de quoi la série promeut activement le port du préservatif, les comportements sexuels responsables et l'acceptation des personnes séropositives. Malgré des sources de financement restreintes, la quatrième saison de la série est sortie en 2014 (une dizaine d'épisodes de dix minutes chacun à chaque saison). Elle remporte un large succès d'audience domestique mais également international (Etats-Unis, Royaume-Uni) et a même réussi à attirer l'attention d'Hollywood qui souhaite industrialiser le concept en le transplantant aux Etats-Unis. Un bel exemple d'entêtement créatif artisanal qui aboutit finalement à un succès mondial -- les premiers épisodes étaient sortis en 2009. 





P.J. Hogan


Tony Collette







De gauche à droit et de haut en bas, le casting de la saison 4 de The Horizon :
Paul Layton (Jake) ; Patrick James (Wilma Bumhurt/Dennis) ; Adam George (Saxon) ; Matthew Clarke (Micky Rose) ;
Inconnu ; Indigo Felton (AJ) ; Sarah Louella (Millie)

jeudi 23 octobre 2014

La Religieuse, Denis Diderot, 1780, publication à titre posthume en 1796

Denis Diderot (naît en 1713 à Langres ; décède en 1784 à Paris), philosophe des Lumières, théologien et juriste, il est à l'origine du projet de l'Encyclopédie. Il cherche à démontrer que l'homme se plaît à être bon. Il veut également démontrer que la recherche du bien individuel coïncide avec l'atteinte du bien commun. 

Le projet d'écriture de La Religieuse trouve son origine dans un calembour monté par Diderot et quelques amis à l'encontre de leur ami commun le Marquis de Croismare. Les premiers parviennent à intéresser ce dernier au sort d'une prétendue religieuse cloîtrée de force, ayant fui son couvent, en lui adressant une correspondance apocryphe de même qu'un mémoire censé avoir été rédigé par l'ex-nonne, soeur Suzanne, dans lequel elle fait le récit de son passage par deux institutions, les couvents de Longchamp puis de Saint-Eutrope, dépeignant du même coup les horreurs de la vie monacale.

A Longchamp, elle est confrontée à l'hostilité de la mère supérieure derrière laquelle vient bientôt se ranger la quasi-totalité de la communauté, notamment à partir du moment où soeur Suzanne annonce publiquement qu'elle veut revenir sur ses voeux en justice, risquant ainsi d'attirer l'opprobre sur le couvent tout entier. En effet, Suzanne cherche à démontrer qu'elle a été forcée par sa famille de rejoindre la communauté, et qu'elle n'a pas agi de son plein gré. Par conséquent, elle ne peut continuer, sous peine d'hypocrisie sacrilège, de mener un type de vie pour lequel elle ne se sent pas appelée. Ce reniement déclenche un ouragan au sein de la communauté qui se lie tout entière pour faire subir à Suzanne les pires sévices, au nom de Dieu et de la religion.

Suzanne finit par perdre son procès. Toutefois, aidée par les autorités ecclésiastiques venues à s'intéresser à son cas, choquées même du traitement qu'elle reçoit, soutenue par son avocat décidé à tout faire pour adoucir son sort, Suzanne change, enfin, d'institution. Elle passe alors d'un extrême à l'autre.

De la haine à laquelle elle était confrontée à Longchamp, elle passe à l'amour débordant, envahissant et quasi-charnel que lui voue la mère supérieure de Saint-Eutrope. Alertées, les autorités de l'Eglise font les reproches les plus durs à la mère supérieure qui, privée de l'objet de son affection (il est strictement défendu à Suzanne de s'approcher d'elle), en proie au doute et aux remords quant à ses penchants, finit par perdre la raison et par en mourir. Cet évènement qui se déroule dans des circonstances tragiques (altération du bon naturel de la supérieure qui entre dans une période d'effroyable pénitence avant de rendre l'âme) décide Suzanne à finalement quitter subrepticement le couvent, au risque d'être confrontée à l'hostilité du monde du dehors qu'elle ne connaît pas.

Le lecteur ne peut s'empêcher d'être captivé par le récit des aventures pathétiques de soeur Suzanne, qui le tient en haleine de bout en bout de ce petit ouvrage (280 pages). Mais entre les tableaux successifs extrêmement vivants et réalistes de la vie au couvent que Diderot parvient à matérialiser devant les yeux des lecteurs, nous retrouvons parfois des argumentaires de style philosophique qui font contraste : nous étions en plein romanesque, nous nous retrouvons dans un essai extrêmement argumenté critiquant la privation de liberté entraînée par la réclusion des jeunes filles et des jeunes hommes, particulièrement quand les jeunes gens n'ont pas la vocation. L'auteur utilise ainsi la technique de l'interrogatoire contradictoire, ce qui permet un exposé rapide, presque brutal, des raisons qui motivent Sainte-Suzanne à agir comme elle le fait. Il en est ainsi du dialogue suivant entre la mère supérieure de Longchamp et soeur Suzanne, alors qu'elle entame ses démarches de renonciation à ses voeux :

"Comment, soeur Sainte-Suzanne, me dit-elle, vous voulez nous quitter ?
- Oui, madame.
- Et vous allez appeler de vos voeux ?
- Oui, madame.
- Ne les avez-vous pas faits librement ?
- Non, madame.
- Et qui est-ce qui vous a contrainte ?
- Tout.
- Monsieur votre père ?
- Mon père.
- Madame votre mère ?
- Elle-même.
- Et pourquoi ne pas réclamer aux pieds des autels ?
- J'étais si peu à moi que je ne me rappelle pas même y avoir assisté.
- Pouvez-vous parler ainsi ?
- Je dis la vérité."
 






Afin de terminer cet article en rendant hommage à l'élégance et à la justesse de l'écriture de Diderot, qui parvient à nous toucher avec l'histoire de cette nonne qui jamais ne quitte les accents de la sincérité la plus pure, ni ceux d'une honnêteté indéfectible malgré l'acharnement auquel elle doit faire face, je citerai les derniers mots de l'ouvrage :

"Je suis une femme, peut-être un peu coquette, que sais-je ?
Mais c'est naturellement et sans artifice." 

La tour Eiffel au jour le jour (mercredi 22 octobre 2014 ; neuf heures et demi)



mardi 21 octobre 2014

Parcours d'art contemporain à Saint-Germain

Ma collègue Dominique attire mon attention sur la deuxième édition du Parcours Saint-Germain d'art contemporain, organisé cette année encore par son amie Anaïs. L'année dernière, ce parcours nous avait donné l'occasion de découvrir des oeuvres exposées dans les boutiques de luxe du boulevard Saint-Germain que j'avoue ne pas avoir l'habitude de fréquenter en temps normal (Ralph Lauren installé dans un superbe hôtel particulier, mais aussi Armani ou encore Karl Lagerfeld, dont la boutique était parsemée de petites figurines le représentant). Ce parcours est une manifestation originale, et permet de transformer des boutiques de vêtements en galeries d'art. En effet, ce soir, les vendeurs ne se contentent pas de vous conseiller quant au vêtement qui vous irait le mieux, mais vous montrent et vous décrivent les oeuvres exposées dans leur boutique.

Cette année, nous retrouvons avec plaisir l'ambiance festive de ce parcours, en nous efforçant de focaliser notre attention sur les oeuvres exposées, parmi lesquelles je retiendrai cette année :
  • le papillon dessiné et colorié au feutre noir sur des morceaux de carton recyclé enchevêtrés les uns dans les autres, d'Andrea Bowers qui trône au sein de la vitrine de la boutique Louis Vuitton de la place Saint-Germain ;
  • les silhouettes évanescentes de Nicole Tran Ba Vang qui fait disparaître les photos des mannequins vantant telle marque de vêtements ou telle autre sur les pages des magazines en les réintégrant dans un décor naturel. Ces mannequins, au lieu de chercher à occuper notre champ de vision, sont supplantés par la jungle qui finit par reprendre ses droits, à moins que ce ne soit le désert ou un paysage lacustre. Je ne m'attendais pas à retrouver ce type de message alternatif en plein coeur de la boutique Barbara Bui, en présence de cette dernière dont on me dit qu'elle est d'origine vietnamienne ;
  • Chez Gérard Darel, les oeuvres de Marilyne Pomian à base de papier à cigarette, ont des titres déconcertants, ce qui provoque notre perplexité tout en stimulant nos propres interprétations, comme dans le cas de ce Sisyphe dont le rocher transformé en nuage nous fascine.
Mes amies m'entraînent également chez La Perla, et là je dois avouer que mon attention se concentre davantage sur les produits de la célèbre maison bolognaise de lingerie féminine. Je ne me suis jamais vraiment intéressé à ce domaine, mais j'avoue que les produits que les vendeuses déplient devant mes yeux sont de toute beauté et d'un raffinement extrême, notamment les nuisettes à broderies en fil d'argent dont le prix atteint... 14.000 €. Stupéfiant.  Enfin, nous reprenons notre souffle et nous abritons de la pluie en prenant un thé brûlant au Café de Flore, qui expose comptoir de bar de bandes dessinées réalisé en carton par le collectif The Gun. Merci Anaïs et Dominique pour cette soirée riche en découvertes et autres curiosités.










 

Sur le chemin du retour, vue sur Saint-Clothilde, rue Saint-Dominique, Paris 7

La tour Eiffel depuis les jardins du Champ-de-Mars

La tour Eiffel au jour le jour (mardi 21 octobre 2014, midi un quart)


dimanche 19 octobre 2014

En route pour Provins, en passant par Rungis, Orly, Ablon, Yerres, Moissy et la forêt de Villefermoy - entre aéronefs supersoniques et foires médiévales

Je ne serai pas parti aussi tôt que je l'aurais souhaité, le temps de paresser dans mon lit puisqu'on est dimanche, jour de repos. Ce n'est pas si grave que cela, non ?

Ce n'est pas grave, si l'on oublie que j'ai décidé aujourd'hui de faire un grand voyage jusqu'à Provins, qui se trouve à quelques 120k de Châtillon, et qu'il ne me sera pas possible d'accélérer en pédalant plus vite sur mon vélo. En fait, le temps perdu l'est bel et bien.

Ne prenons pas les choses au tragique, je finis par me lever à 7h.30, prends tranquillement mon petit déjeuner. Heureusement, j'ai préparé mes affaires la veille, donné mon vélo à réviser ce qui fait qu'il est dans un état impeccable, aussi je n'ai qu'à enfiler des vêtements adéquats pour pouvoir commencer mon périple sur le coup de 8h.30.  Le GPS est un peu paresseux, l'acquisition des satellites prend du temps, tout comme le calcul de l'itinéraire.

Qu'à cela ne tienne, je prends l'itinéraire habituel lorsque je me rends à Draveil par Bagneux, Fontenay-aux-Roses, Bourg-la-Reine. Là, le navigateur se réveille enfin et m'intime l'ordre d'aller vers  les Jardins de la Bièvre, au dessin paysager géométrique, à L'Hay-les-Roses. Au-delà de la traversée des voies multiples de l'autoroute du soleil, j'arrive à Rungis, en passant devant le centre horticole de la Mairie de Paris, avant de longer le Parc d'activités de Silic, dominé par l'immeuble de Thalès. A mesure que j'approche du cœur d'Orly, l'aéroport, mon itinéraire se complique car la zone est en pleine restructuration, notamment les zones de fret et des douanes. Mon GPS n'est pas à jour et il veut absolument me faire emprunter une piste cyclable passant sous l'aérogare. Mais elle n'existe plus, aussi me faut-il faire avec les rares panneaux indicateurs, les pistes cyclables en pointillé de cette zone hautement industrielle qui n'est guère adaptée au vélo.

Pourtant, après de nombreuses hésitations, je parviens à me sortir de cet embarras (en criant victoire). Je ressors comme par magie côté sud et me dirige en direction d'Athis-Mons sur de gentilles pistes cyclables toute neuves, tout en longeant les maquettes du concorde aux couleurs combinées d'Air France et de British Airways.

Après avoir acheté mon casse-croûte dans une boulangerie, j'attends de pouvoir me poser en bord de Seine afin de dévorer mon sandwich. Puis je repars à l'escalade de l'autre rive, au niveau de Villeneuve-Saint-Georges. Je m'attarde devant la mairie de Yerres, située au sein d'un parc paysager qui met en valeur son aspect d'ancien manoir... Je traverse également la forêt de Sénart, qui fait figure de zone assiégée par les constructions urbaines qui cernent ce petit enclos de nature de toutes parts.

La ville pourtant, même si elle est très étendue, n'est pas infinie, et à partir de Combs-la-Ville, son emprise diminue, l'habitat devient moins dense, des zones de verdure "spontanée" refont leur apparition. Au niveau de Moissy-Cramayel, qui mérite vraiment le qualificatif de ville nouvelle par son côté zone pavillonnaire surgie de nulle part, le grignotage "rurbain" est évident, avec les champs qui, bien que très présents encore, laissent la place qui à des parcs d'activités, qui à des grandes surfaces, etc.

Au-delà, la campagne se réinstalle dans toute sa plénitude, il n'y a guère que l'établissement Safran ex-Snecma à Réau pour nous rappeler que nous vivons  dans un monde industriel, bien que l'établissement soit perdu au milieu des champs de pommes de terre.

Par la suite, je voyage à travers le temps, en remontant vers le Moyen-Âge, notamment lorsque je suis en vue des spectaculaires tours de Blandy, l'église romane perchée de Saint-Loup de Naud ou encore Provins dont j'ai un aperçu de la collégiale Saint-Quiriace (12e siècle), du donjon encore appelé tour César (12e siècle), symbole de la puissance exercée par les Comtes de Champagne et enfin des remparts (11e - 13e siècles).

Après avoir passé rapidement en revue le riche patrimoine de Provins, je rejoins la gare où j'ai tout juste le temps de sauter dans le train qui me ramènera à la Gare de l'est (une heure et demi de trajet). Une belle journée, intense, passée sous un ciel bleu et dans une chaleur estivale !






Les jardins de la Bièvre
    

Le centre horticole de Rungis
    

Séquence nostalgie pour Air Inter
    

La piste cyclable menant vers l'aérogare d'Orly, au milieu d'une réseau autoroutier dense emprunté par des automobilistes qui filent à toute allure !
    

    
En contournant l'aérogare, je peux voir et entendre les avions mettre les gaz, parés pour le décollage.





    

               

    




    


    

Le paysage urbain caractéristique de Moissy-Cramayel

L'établissement Safran de Réau, au milieu de nulle part.


Approche de Blandy-les-Tours
Eglise Saint-Maurice de Blandy, 14e siècle

Château du vicomte de Melun, 13e siècle