Film réalisé par Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux, etc. Sortie française le 24 septembre 2014
Evidemment ce film ne sera guère apprécié des adulateurs du dieu de la mode incarné en Yves Saint-Laurent. En effet, il explore la face cachée du créateur, à savoir une certaine faiblesse de caractère et une grande complaisance envers l'alcool, les drogues et un mode de vie déréglé.
Oui, voir Yves Saint-Laurent (littéralement) dans le caniveau, les fesses à l'air après avoir fait la fête avec des compagnons d'une nuit sur des terrains vagues aux abords de la Gare du nord peut sembler choquant lorsqu'on adore les icônes et ne veut qu'on les touche, quitte à faire l'impasse sur une certaine vérité, elle satisfera les adorateurs d'exactitude qui aiment que l'on s'éloigne des clichés afin de parler plus directement de qui était Saint-Laurent, comment trouvait-il son inspiration mais aussi comment vivait-il lorsqu'il ne faisait pas de la mode. Troublant...
De ce film que l'on peut voir comme un documentaire, on en retire une image nuancée de Saint-Laurent, qui n'est pas intéressé par le monde tel qu'il est mais qu'il le voudrait, c'est-à-dire un monde de légèreté où les sorties en boîtes de nuit occupent la majeure partie des loisirs, lorsqu'on ne se retrouve pas au Jardin des Tuileries à l'affût de sexe, complètement déconnecté par rapport au quotidien, uniquement préoccupé de ses fantasmes dans lesquels Saint-Laurent puise une force créatrice qui l'amène à transformer l'image de la femme en faisant évoluer sa garde-robe, en y introduisant des éléments androgynes, comme le smoking notamment. Saint-Laurent ne semble relié au réel que par Pierre Berger dont on suit les longues négociations lorsqu'il s'efforce d'attirer de nouveaux investisseurs dans le capital de la maison de couture qu'il a fondé avec son ami. Berger soutient son ami à bout de bras, il le protège de ses amants destructeurs, il veille à ses intérêts financiers, il l'entoure d'amour et de bienveillance, il lui prête une épaule solide sur laquelle il peut s'appuyer. Saint-Laurent lui ne fait que faire n'importe quoi, notamment à la fin des années 70 où, par exemple, il donne une interview scandaleuse que Berger tentera de censurer autant que possible. Quel gâchis que ce destin !
Il n'empêche que Saint-Laurent livre une vision de l'homosexualité intéressante, le film nous dévoile ce que c'est que d'être gay : il nous dit l'attirance pour les abîmes, pour le monde de la superficialité et des illusions, cette quête éperdue d'amour / luxure, une certaine fragilité aussi, et la façon dont on peut soit se laisser complètement dominer par ses instincts autodestructeurs, ou alors résister et choisir de vivre / vincere à la place...
Une mention spéciale pour l'interprétation, Gaspard Ulliel amaigri campe un Saint-Laurent magnifique et totalement crédible, jusque dans les scènes intimes et tendres avec Jérémie Régnier en Berger amoureux. Quelle excellente idée aussi que d'avoir fait jouer Saint-Laurent vieilli et détruit par les excès par Helmut Berger, qui incarne la déchéance même, notamment lorsqu'il regarde une scène des Damnés de Visconti, film tourné alors que Helmut était au sommet de sa beauté (pas de son art, car il joue bien mieux aujourd'hui, à présent qu'il a vieilli...).
Une autre mention spéciale pour la reconstitution des années 1970, efficace dans sa discrétion. L'époque est ainsi caractérisée par les vêtements et les allures comme de bien entendu, mais aussi par les éléments d'architecture intérieure, comme dans la scène où Saint-Laurent s'enregistre sous un faux nom dans le hall d'un hôtel terriblement seventies...
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