L'exposition que nous présente le musée Jacquemart-André est intéressante à plus d'un titre, dans la mesure où elle donne à voir les oeuvres des représentants d'un courant de peinture, le caravagisme, depuis les précurseurs (Giotto) jusqu'aux continuateurs (Manfredi, Lanfranco ou encore Van Baburen, jusqu'au cinéma de Pasolini), à travers les yeux d'un historien de l'art/collectionneur, Roberto Longhi. Ce dernier, par ses influences contemporaines, ses recherches, ses découvertes en tant que collectionneur, a largement contribué à sortir Caravage de la nuit dans laquelle l'histoire officielle de l'art l'avait maintenu, juqu'à la moitié du 20e siècle.
Au début du siècle dernier, Longhi se sent étouffer au sein des conventions qui règnent dans le domaine de l'histoire de l'art, privilégiant la peinture toscane, le 17e siècle grandiose dans son maniérisme (Botticelli, Raphaël, Michel-Ange) et le 18e siècle élégant des védutistes vénitiens (Canaletto). Il est à la recherche d'une vision dépoussiérée de l'histoire de l'art, davantage en phase avec les mouvements picturaux contemporains qui se dégagent des courants impressionnistes du 19e siècle (Monet, Renoir, Cézanne) et du réalisme (Courbet) en vogue en France au tournant du 20e siècle. A ce titre, la visite qu'il rend à la Biennale de Venise en 1910 constitue un choc suite auquel Longhi met au point sa méthode critique dite de la "connotation par avance", constituée par des allers et retours incessants entre les maîtres anciens et la peinture moderne, selon laquelle "l'histoire passée se colore toujours de celle du présent".
Il trace ainsi un saisissant rapprochement entre Courbet (1819-1877) et Caravage (1571-1610) autour du problème du naturalisme, que l'académisme regarde avec une certaine répulsion, voyant dans les toiles du maître d'Ornans "une sévérité dépouillée tout à fait caravagesque". Roberto Longhi ressuscite Caravage en le présentant comme le premier peintre de l'époque moderne. "C'est la lumière qui pourvoit maintenant à l'artifice, au symbole dramatique du style, et non plus l'idée que l'homme avait pu se faire de lui-même. La rupture des ténèbres révèle l'événement et rien d'autre : d'où son naturel inexorable [...]. Hommes, objets, paysages, tout est sur un même plan : il n'y a pas d'échelle hiérarchique où ranger les divers éléments suivant leur "dignité"." Roberto Longhi provoque alors une rupture en sortant Caravage de son statut de "portier de nuit de la Renaissance", au grand dam des autorités de l'époque en matière d'histoire de l'art qui considéraient Caravage comme un barbare, à l'image de Vasari.
Longhi étend le champ de son analyse à d'autres peintres (Giotto, Masolino, Masaccio) qui, à l'orée de la Renaissance, introduisent une véritable rupture avec ce qui avait cours en leur temps (14e/15e siècles), en donnant aux hiératiques figures sacrées la souplesse des silhouettes humaines et en introduisant le fil de la narration. Ses recherches de collectionneur l'amènent également à donner une filiation au Caravage en découvrant les peintres qui lui ont succédé en s'inspirant de son style naturaliste, issu du quotidien, infusant la vie des faubourgs populaires dans leurs toiles sans fard : Orazio Gentileschi (1563-1639, le père d'Artemisia) ; Orazio Borgianni (1574-1616) ; Battistello Caracciolo (1578-1635) ; Carlo Saraceni (1579-1620) ; Giovanni Lanfranco (1582-1647) ; Bartolomeo Manfredi (1582-1622) ; Valentin de Boulogne (1591-1632), etc. Plus près de nous, l'écrivain/réalisateur mystico/néo-réaliste Pasolini, élève de Longhi sous la direction duquel il rédige sa thèse sur l'art contemporain italien, dédicacera son Mamma Roma (1962) à Longhi : son film s'ouvre ainsi sur un hommage à la Cène de Léonard et se conclut par une référence au Christ mort de Mantegna. Par ailleurs, Pasolini emprunte au Caravage ses ragazzi aux pieds sales (les sans-dents de l'époque) en leur faisant interpréter les héros de ses films, tels Franco Citti ou Ninetto Davoli.
Cette exposition, par les correspondances qu'elle établit entre les peintres faisant partie d'un même mouvement réaliste, mis à jour par le regard érudit et anti-conformiste d'un grand amateur/collectionneur d'art, se révèle etrêmement stimulante pour le visiteur.
Il trace ainsi un saisissant rapprochement entre Courbet (1819-1877) et Caravage (1571-1610) autour du problème du naturalisme, que l'académisme regarde avec une certaine répulsion, voyant dans les toiles du maître d'Ornans "une sévérité dépouillée tout à fait caravagesque". Roberto Longhi ressuscite Caravage en le présentant comme le premier peintre de l'époque moderne. "C'est la lumière qui pourvoit maintenant à l'artifice, au symbole dramatique du style, et non plus l'idée que l'homme avait pu se faire de lui-même. La rupture des ténèbres révèle l'événement et rien d'autre : d'où son naturel inexorable [...]. Hommes, objets, paysages, tout est sur un même plan : il n'y a pas d'échelle hiérarchique où ranger les divers éléments suivant leur "dignité"." Roberto Longhi provoque alors une rupture en sortant Caravage de son statut de "portier de nuit de la Renaissance", au grand dam des autorités de l'époque en matière d'histoire de l'art qui considéraient Caravage comme un barbare, à l'image de Vasari.
Longhi étend le champ de son analyse à d'autres peintres (Giotto, Masolino, Masaccio) qui, à l'orée de la Renaissance, introduisent une véritable rupture avec ce qui avait cours en leur temps (14e/15e siècles), en donnant aux hiératiques figures sacrées la souplesse des silhouettes humaines et en introduisant le fil de la narration. Ses recherches de collectionneur l'amènent également à donner une filiation au Caravage en découvrant les peintres qui lui ont succédé en s'inspirant de son style naturaliste, issu du quotidien, infusant la vie des faubourgs populaires dans leurs toiles sans fard : Orazio Gentileschi (1563-1639, le père d'Artemisia) ; Orazio Borgianni (1574-1616) ; Battistello Caracciolo (1578-1635) ; Carlo Saraceni (1579-1620) ; Giovanni Lanfranco (1582-1647) ; Bartolomeo Manfredi (1582-1622) ; Valentin de Boulogne (1591-1632), etc. Plus près de nous, l'écrivain/réalisateur mystico/néo-réaliste Pasolini, élève de Longhi sous la direction duquel il rédige sa thèse sur l'art contemporain italien, dédicacera son Mamma Roma (1962) à Longhi : son film s'ouvre ainsi sur un hommage à la Cène de Léonard et se conclut par une référence au Christ mort de Mantegna. Par ailleurs, Pasolini emprunte au Caravage ses ragazzi aux pieds sales (les sans-dents de l'époque) en leur faisant interpréter les héros de ses films, tels Franco Citti ou Ninetto Davoli.
Cette exposition, par les correspondances qu'elle établit entre les peintres faisant partie d'un même mouvement réaliste, mis à jour par le regard érudit et anti-conformiste d'un grand amateur/collectionneur d'art, se révèle etrêmement stimulante pour le visiteur.
Giotto di Bondone (vers 1267-1337) : Saint Jean l'Evangéliste et Saint Laurent Années 1320, tempera et or sur bois Fontaine-Chaalis, abbaye royale de Chaalis, Institut de France |
Luca di Tommè : Deux Apôtres et un chérubin 1360-1365 environ, tempera et or sur bois Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi |
Colantonio (actif entre 1440 et 1470) Un bienheureux de l'ordre franciscain (Gilles)deuxième moitié des années 1440, tempera sur bois Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi |
Giovanni Luteri dit Dosso Dossi (vers 1489-1542) Garçon à la corbeille de fleurs (détail), 1524 Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi |
Orazio Borgianni (1574-1616) Déploration du Christ, vers 1615 Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi |
Jusepe de Ribera (1591-1652) Saint Thomas, vers 1612 Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi |
Mattia Pretti (1613-1699) Suzanne et les vieillards, seconde moitié des années 1650 Florence, Fondazione di Studi si Storia dell'Arte Roberto Longhi |
*
* *
Et sinon, dans le reste du musée Jacquemart-André :
Atelier |
Giovanni di Ser Giovanni, dit Le Scheggia (1406-1486) Plateau d'accouchée représentant la naissance de la Vierge (vers 1430) |
L'Annonciation de Giavanni di Tommasino Crivelli, vers 1436-1440, tempera sur bois |
Chambre de Madame |
Façade de l'Hôtel Jacquemart-André, côté cour |
Merci. Je cherchais partout, en vain, le nom du peintre de la Suzanne aux vieillards...#heureusementquyadesbloggers
RépondreSupprimer