jeudi 30 avril 2015

Helmut Berger

Helmut Berger autoportrait, Propos recueillis par Holde Heuer, Editions Séguier, Paris, 2014. Première édition en langue allemande : Helmut Berger : Ich, die Autobiographie, Ullstein-Verlag, Berlin, 1998.

Dans la nouvelle édition de son livre de souvenirs, publiée une première fois en 1998, complétée pour l'occasion d'un nouveau chapitre faisant suite à la sortie du film à succès Saint-Laurent, Helmut Berger nous livre de nombeux souvenirs de sa période jet-set, avec une lente montée en puissance à partir de la deuxième moitié des années 1960, une phase d'intensité maximale couvrant l'intégralité de la décennie 1970, suivie par une descente progressive à partir des années 1980. Ce découpage est repris grosso modo par l'acteur entre une première partie dans laquelle il raconte sa vie avant Visconti (I - La grande aspiration de ma vie : je veux être aimé) ; une deuxième partie, la plus longue et la plus intense en souvenirs palpitants, relatant les douze années partagées avec Visconti (II - Le grand amour de ma vie : Luchino Visconti) ; et enfin la période d'après (III - Le tragique de ma vie : veuve à 32 ans).

Compte tenu de la réputation sulfureuse du personnage public d'Helmut Berger, très sexe, drogue et rock n' roll, je dois avouer que j'ai été attiré par ce personnage non seulement par sa proximité d'avec l'un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma, par le biais duquel j'ai d'ailleurs fait sa connaissance (Les Damnés (1969) ; Ludwig ou le crépuscule des dieux (1974) ; Violence et passion (1975)), mais également par la perspective d'en savoir plus sur les scandales agitant le monde des people A-list de l'époque.

En la matière, Helmut Berger n'est pas avare en confidences. On en apprend ainsi davantage sur son opinion concernant Alain Delon, son grand rival "calculateur" de l'époque, dont il craignait qu'il ne lui vole Visconti ainsi que les meilleurs rôles dans les films de ce dernier, ce qui l'a poussé à tout faire pour les éloigner l'un de l'autre :

"Un jour, Delon nous rendit visite. J'ouvris la porte et, pour l'énerver, je lui demandai quel était son nom. Prétextant ne pas le connaître, je lui claquai la porte au nez." (p. 13)

Par ailleurs, Berger n'hésite pas à confesser le moment le plus embarrassant de sa carrière, et même de sa vie, lorsqu'il se rendit au bal de la Croix-Rouge à Monaco en 1971, et fut empêché de se lever de son siège pendant neuf heures, même après qu'un air de valse déclenche l'arrivée des danseurs sur la piste, ce qui était très inhabituel chez ce danseur invétéré, pour une raison gênante qu'il confie bien candidement au lecteur :

"En plein milieu du repas, je voulus laisser s'échapper un pet minuscule. Mais le petit vent fut liquide et me glissa, humide qu'il était, dans le pantalon. Je ne regardais pas, mais je sus que mon pantalon de smoking blanc se colorait d'un marron poisseux. Une catastrophe. Ca devait venir de la cocaïne que j'avais consommée peu de temps avant dans les toilettes pour hommes. De la mauvaise poudre. [...] C'était l'enfer. Tous évoluaient au rythme de la valse, sauf moi. Moi, j'évoluais dans autre chose. Tout Monaco -- d'après mes souvenirs de cette nuit -- voulut danser avec moi. Jusqu'à quatre heures, je restai assis dans ma merde." (pp. 194-195)

Quelques pages plus loin, Berger nous livre un portrait comique de la diva opératique Maria Callas, que l'on décrit habituellement avec les termes dus au respect le plus profond pour son talent, sa distinction et son statut de star internationale insurpassable du chant lyrique. Sous le regard parfois cruel de Berger, la Callas devient une grosse bonne femme complexée par l'ampleur de son bassin et de ses cuisses, avide de commérages et qui ennuie tout le monde avec ses exercices de chant lancinants : "Maria faisait ses exercices de chant. Des prestations théâtrales avec des manières affectées, qui nous mettaient dans l'ambiance pour la soirée. Ses chiens glapissaient en cadence." (p. 210)

Si dans ses souvenirs, Berger se montre parfois acerbe, même vis-à-vis de lui-même, il est également fort drôle, avouons-le. De plus, par son entremise, le lecteur est amené à côtoyer le meilleur monde des années 1960-70, depuis Liz Taylor jusqu'à Juan Carlos, en passant par Noureev, Marisa Berenson, Mick et Bianca Jagger, Anita Ekberg, Romy Schneider, Helmut Newton, Andy Warhol, Tennessee Williams, Herbert von Karajan, Ari Onassis, Stavros Niarchos, Reiner Werner Fassbinder, Grace de Monaco, Jack Nicholson ou encore Gina Lollobrigida... Certes, Berger ne nous donne pas accès aux pensées les plus profondes de ses amis, mais il nous les montre en train d'évoluer lors des fêtes mondaines ou lors de rencontres plus intimes, ce qui permet au lecteur de se faire une meilleure idée de leur personnalité.

Attention cependant, comme dans le cas de la Callas, les descriptions de Berger sont parfois si outrées que l'on est en droit de se demander s'il ne force pas un peu le trait afin de régler ses comptes. A ce titre, l'avertissement qu'il lance dans les premières lignes de son autobiographie est on ne peut plus clair : "Ceux qui me côtoient connaissent ma redoutable ambivalence : je peux être l'homme le plus gentil, comme le plus désagréable." (p. 13). On perçoit notamment chez cet homme une sensibilité à fleur de peau qui peut l'amener à certains excès de jalousie, de possessivité et finalement de méchanceté. Berger admet que de tels traits de caractère excessifs se retrouvent souvent chez les acteurs, et les artistes plus généralement, indissociables de la force inspiratrice qui leur permet de performer, parfois au prix d'un épuisement psychique, le leur propre et celui de leur entourage.

Un autre intérêt de l'autobiographie de Berger réside dans la description d'une succession d'ambiances entre les années 1970 puis 1980. Les années 1970 sont ainsi marquées par le psychédélisme et la libération des moeurs marquée par une volonté d'expérimenter des modes de vie alternatifs, notamment dans les milieux artistiques européens. Berger nous livre ainsi quelques pages saisissantes sur ses trips sous LSD, où l'on a vraiment l'impression d'être nous aussi complètement hallucinés par la drogue :

"Michael [Butler, le producteur de la comédie musicale Hair] me prit par la main et me montra la beauté de la nature : "Regarde comme c'est beau. Les feuilles respirent. Les arbres nous serrent dans leurs bras." Et les feuilles respirèrent vraiment mon souffle, les branches des arbres me serrèrent doucement. Le pré avala mes pieds. Le LSD est une drogue de la perception et de l'imagination. Elle renforce des pensées et des images que nous portons depuis longtemps en nous.

"Nous rentrâmes à la maison. Je planais et j'étais heureux. Le tapis respirait. Je saisis un verre et vis le mouvement de l'air qui se partageait. Les éléphants se détachèrent brusquement du motif du tapis. Ils prirent forment et se mirent à bouger sur le sol." (p. 61)

Plus loin, Berger établit un comparatif entre les différentes drogues qu'il a pu tester : "La cocaïne dépasse de loin le vertige du hasch, du LSD, de l'opium et de l'ecstasy. Elle réveille à fond et libère des énergies infinies et une insomnie heureuse. Je pouvais danser, travailler et déconner pendant deux, trois jours. La volupté ne commence que quand l'effet diminue. A partir de ce moment, le sexe est sans limites." (p. 64)

Quelle différence entre cette période de liberté absolue et d'expérimentation sans contrainte, d'une part, et la décennie 1980, d'autre part ! Ces années sont le théâtre du retour en force du conservatisme, des conventions et de la rigidité que Berger subit de plein fouet alors qu'il tente de relancer sa carrière en s'impliquant dans le projet de la série Dynastie. Lorsqu'il repense à la liberté artistique dont il jouissait sur les plateaux de tournage européens à l'ambiance délicieusement seventies, Berger est rebuté par ce qu'il vit à Los Angeles en 1984 :

  • des clauses contractuelles à n'en plus finir qui enserrent les moindres faits et gestes des acteurs, y compris leur vie personnelle (liste des restaurants ou des boîtes de nuit inconvenants qui leur sont interdits ; liste des personae non gratae qu'ils doivent se réfréner de fréquenter tant qu'ils sont sous contrat avec la série, y compris certains proches) ;

  • une ambiance détestable sur les plateaux de tournage où il convient d'être rentable et productif comme dans une usine de montage automobile (longues journées de travail sans pause ; changement de réalisateurs qui "se font la main" à chaque épisode) ;

  • ambiance morne entre les acteurs, renforcée par la mise en évidente de la place hiérarchique de chacun (hauteurs du fauteuil d'acteur différentes en fonction de l'importance de ce dernier).

Berger ne tient d'ailleurs pas toute une saison à ce régime et se fait rapidement virer de Dynastie. Le productivisme à tout prix, ce n'est pas pour lui !

L'autobiographie d'Helmut Berger donne donc à voir la truculence de l'acteur et de ses amis au travers de scènes cocasses, tout en nous introduisant dans les différentes atmosphères qu'il aura traversées tout au long de sa vie. Sans conteste, sa préférence va à la période qu'il aura vécue en compagnie du maître Visconti, notamment dans sa villa romaine au 366, Via Salaria.

Pour autant, Helmut Berger sort-il grandi de son histoire racontée avec tant de candeur ? D'une certaine façon, oui. Nous apprécions son rapport à l'argent, et la façon dont il aura dépensé des fortunes sans avoir réellement pensé à établir un échéancier de ses retours sur investissement. Il est agréable d'être confronté à une personne qui, bien qu'ayant, pendant au moins une partie de sa vie, vécu dans des conditions privilégiées, est néanmoins relativement immunisée contre l'appât du gain et l'approche mesquine qui généralement l'accompagne.

Enfin, ce qui nous attache à Berger et nous le rend sympatique, au-delà de ses crises de divaïsme et son besoin constant d'être au centre de l'attention, est de sentir que, bien qu'il fasse étalage de toutes les connaissances qu'il pouvait avoir en haut lieu, bien qu'il décrive un mode de vie extravagant dans lequel il aura englouti des fortunes, il a en quelque sorte toujours eu l'impression de se trouver là par un heureux hasard, comme un passager clandestin du yacht de la jet-set. Il a eu le talent, sans doute le plus grand de tous ses talents, de se faire accepter en fascinant/amusant ce monde de privilégiés par sa beauté et ses extravagances, mais au fond, ni lui ni les autres n'ont été dupes de cet échange. Lorsqu'il a cessé de bien présenter ou d'amuser les membres titulaires de la jet-set, il a été dégagé sans ménagement de cet Olympe. Dure loi que celle d'une vie fondée sur les apparences...

Néanmoins, Berger se tire plutôt bien de cet exercice de réévaluation de sa carrière et de sa vie.






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