dimanche 9 novembre 2014

Restless, William Boyd

Né en 1952 au Ghana, passant sa jeunesse entre le Ghana et le Nigéria, William Boyd fait ses études en Ecosse et aussi à l'Université de Nice (il est parfaitement francophone), avant d'enseigner la littérature à l'Université d'Oxford, où il mène une carrière parallèle d'auteur à succès, en écrivant des romans, parmi lesquels Un Anglais sous les tropiques (1984), Brazzaville Plage (1991) ou encore Armadillo (1998). Il écrit également des scénarios pour le cinéma et la télévision. Il a également quelques films à son actif en tant que réalisateur. Il a dernièrement été sélectionné par les héritiers de Ian Fleming pour écrire la suite de la saga des James Bond (Solo, sorti en 2014).

Restless est publié pour la première fois en 2006 chez Bloomsbury, à Londres. Le roman obtient le Costa Novel Award la même année. La traduction française est publiée en 2007 sous le titre La Vie aux aguets.

Restless est un roman d'espionnage. Il couvre la période précédant l'éclatement de la Deuxième guerre mondiale et s'achève avec l'irruption des Japonais à Pearl Harbor en décembre 1941. Cependant, Restless n'est pas un roman d'espionnage au sens traditionnel du terme, il est agrémenté de nombreux épisodes narratifs qui n'ont rien à voir avec le monde des services secrets, du moins dans un premier temps. Car la manière d'appréhender sa vie par Eva Delectorskaya, héroïne du roman, toujours aux aguets, se méfiant de tout et de tout le monde, finit par contaminer les autres aspects du roman -- espionne un jour, espionne toujours -- si bien qu'elle transmet sa paranoïa aux autres personnages à mesure que l'intrigue se développe.

Eva, dactylo russe émigrée sans histoire vivant à Paris, est recrutée en 1939 par un agent britannique, Lucas Romer, au lendemain de l'assassinat de son frère par des fascistes français. Elle apprend avec surprise que son frère travaillait pour le gouvernement britannique, d'où son élimination par des méthodes brutales. Après quelques hésitations, Eva accepte et c'est le début pour elle d'une nouvelle vie. Après une formation en Ecosse, au cours de laquelle elle montre d'excellentes aptitudes pour les différentes techniques de filature, le morse, le codage, etc., elle est envoyée en poste en Belgique au début de la guerre, puis à Londres en 1940, puis enfin à New York en 1941. A chaque fois, sous la responsabilité de Romer, dont elle finira par tomber amoureuse, elle est chargée de la même tâche : au sein d'une agence de presse, elle tente de manipuler les informations, dépêches, communiqués et articles de presse afin de faire pencher subtilement l'opinion publique en faveur de la politique suivie par le gouvernement britannique. En clair, elle est chargé de propagande antinazie.

L'importance de sa fonction appraît dans toute sa clarté alors qu'elle travaille avec le BSC (British Security Coordination), branche du contre-espionnage britannique sise à New York, occupant juqu'à deux étages de l'immeuble Rockefeller, chargé par tous les moyens de faire pression auprès de l'opinion et des officiels  américains afin de les amener à entrer en guerre auprès des Britanniques. En effet, Churchill a conscience de ne pouvoir lutter seul bien longtemps contre l'Allemagne nazie et il a besoin des Etats-Unis. Or, à l'époque, l'opinion américaine est à 80 % isolationniste, convaincue qu'il faut rester à l'écart du guêpier européen, d'autant que l'image du Royaume-Uni est écornée par son statut de première puissance impériale mondiale, ce que les Américains considèrent avec horreur. Pour eux aussi, Albion est perfide et il est urgent de la laisser se dépétrer avec ses propres problèmes.

Afin d'inverser la vapeur, les agents britanniques se démênent afin d'intéresser les Américains à leur sort, de les impliquer, en leur montrant les dangers représentés par l'Allemagne nazie y compris sur le continent américain. C'est ainsi qu'une carte vraisemblablement fabriquée par les services britanniques, montrant en allemand les visées expansionnistes d'Hitler en Amérique du sud, jusqu'à la frontière mexicaine, une fois l'Amérique latine avalée d'une bouchée, y compris le canal de Panama considéré comme vital par les Etats-Unis, finira par atterrir sur le bureau du Président Roosevelt et sera utilisée comme argument massue auprès de l'opinion et du Congrès américains pour les retourner. Tout cela, bien entendu, avant que l'attaque japonaise contre Pearl Harbour de décembre 1941 ne provoque le choc et l'émoi tant attendus par les Britanniques, et l'entrée en guerre des Etats-Unis.

Le roman de Boyd se lit à plusieurs niveaux, car nous avons bel et bien les évènements contemporains de la Deuxième guerre mondiale, qui nous parviennent à travers la lecture du journal d'Eva. Nous avons également un deuxième niveau situé en 1976, imbriqué dans le premier (l'auteur passe constamment de l'un à l'autre) centré sur le personnage de la fille d'Eva, Ruth, professeur d'anglais particulier pour étudiants étrangers adultes. L'un des plus brillants d'entre eux, Hamid, iranien émigré fervent opposant au Shah, tombe amoureux de Ruth. Ruth a également un fils, Johannes ("Jochen") dont nous apprenons progressivement l'histoire du père, allemand progressiste tenant de l'école de pensée dite de la "conscience sociale", débordant d'amour pour le genre humain en général, mais terriblement froid et pauvre en sentiment dès qu'il s'agit de considérer le sort d'individus précis. Il n'hésite pas à rejeter les personnes qui l'encombrent et qui le gênent, comme la mère de Jochen ou encore son frère, Ludger, qu'il accuse d'être en lien avec la bande à Baader, des terroristes d'extrême-gauche. D'ailleurs, comme par hasard, Ludger réapparaît dans la vie de Ruth, bientôt suivie par Ilse, une amie à lui "peu recommandable". 

Au-delà du contexte historique brillamment rendu, la réussite du roman tient en ce qu'il nous permet de pénétrer la psychologie perverse d'un espion qui vit constamment aux aguets, se méfie de tous les visages qu'il rencontre, passe son temps à enregistrer les moindres faits et gestes de son entourage à la recherche de la plus petite anomalie qui pourrait lui suggérer qu'il est découvert. L'originalité du roman provient d'avoir fait endosser le costume de l'espion à une jeune femme séduisante, qui doit pourtant faire le deuil de sa féminité afin de pouvoir s'imposer. Et lorsque sa féminité refait surface, c'est là que les problèmes vont commencer pour Eva...

Il n'empêche, cette impossibilité à trouver le calme, la sérénité, finit par déteindre sur son entourage à partir du moment où elle ouvre à sa fille les portes de son passé, après l'avoir si longtemps dissimulé. C'est ainsi qu'Oxford, ville étudiante tranquille par excellence, notamment le quartier résidentiel dans lequel Ruth habite, finit par devenir aux yeux de cette dernière une sorte de nid d'espions : elle finit par soupçonner son élève Hamid d'appartenir à la police secrète du Shah, la SAVAK, alors que son propre frère est mort entre leurs mains ; elle soupçonne également Ludger et son ami Ilse d'être de dangereux terroristes alors qu'ils ne sont en réalité que de jeunes marginaux.

William Boyd fait ici, encore une fois, la démonstration de sa maîtrise narrative, en donnant à son lecteur l'occasion d'en apprendre un peu plus sur l'histoire, de rire, d'être ému, tout en suivant les aventures haletantes de son héroïne. Une grande réussite !



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