L'exposition que la Cinémathèque française consacre au maître italien nous donne l'occasion de nous plonger dans l'oeuvre et la vie de Pier Paolo Pasolini, l'un des personnages de premier plan de la vie culturelle italienne de l'après-guerre jusqu'au milieu des années 1970, à la fois sur les plans littéraire, cinématographique et plastique.
Nous rejoignons Pasolini et sa mère en 1950 à la station Termini de Rome, où ils débarquent tout juste du Frioul. Pasolini est déshonoré et au chômage, car il a été surpris en flagrant délit de conduite indécente. Il trouve un poste d'enseignant assorti d'un maigre salaire leur permettant tout juste de survivre. Pour autant, Pasolini ne renonce pas à l'écriture et c'est dans une masure misérable sise dans un quartier défavorisé de la capitale qu'il compose le roman qui le révèlera, Ragazzi di vita, publié en 1955.
La reconnaissance de son talent lui ouvre de nouvelles perspectives. Il quitte l'enseignement, travaille pour le cinéma : les plus grands réalisateurs tels que Fellini ou Bolognini lui commandent des scènes qui seront incorporées dans des films tels que la Dolce Vita, où il est question de prostituées et de voyous, monde interlope que Pasolini a décrit dans Ragazzi avec une vérité, une force et une émotion inégalées jusqu'alors (voir la scène finale, déchirante, du jeune Genesio en train de se noyer emporté par le courant vers le pont de la Tiburtina, sous le regard de ses petits frères), faisant entrer le dialecte "romanesco" parlé par les voyous et les gens misérables des quartiers populaires dans la littérature.
A partir de 1961, Pasolini devient réalisateur de cinéma à part entière, avec des oeuvres s'inscrivant dans la veine du néo-réalisme (Il reste fasciné par Rome ville ouverte de Roberto Rossellini sorti en 1945) qui traduisent en images l'univers des déclassés qu'il avait d'abord abordé par les livres : c'est le cas notamment d'Accattone (1961) ou encore de Mamma Roma (1962, histoire de cette mère, interprétée par Anna Magnani, qui renonce à la prostitution pour se consacrer à l'éducation de son fils, avant d'y retomber à nouveau pour offrir à son fils la moto de ses rêves, ce qui n'empêchera pas le rejeton de "mal tourner" et de disparaître tragiquement, plongeant sa mère dans le désespoir).
Cependant, Pasolini ne se limite pas à ces vibrants hommages néo-réalistes. Il réalise aussi des films empreints d'un mysticisme chrétien, à l'image de L'Evangile selon Matthieu (1964) où il fait interpréter les apôtres du Christ par ces garçons des rues qu'il affectionne tant (Grand Prix de l'Office catholique du cinéma au festival de Venise de 1964), ou de Théorème (1968), sorte de fable qui nous conte la rédemption d'une famille de la grande bourgeoisie industrielle milanaise dont les membres se révèlent à eux-mêmes et sortent de leur déterminisme de classe suite à leur rencontre avec un beau jeune homme christique qui les séduit tour à tour.
Il s'intéresse également aux tragédies de l'Antiquité grecque, en réalisant Oedipe roi d'après Sophocle (1967) ou encore Médée d'après Euripide (1969, avec Maria Callas), introduisant là encore des éléments d'hétérodoxie dans le répertoire (tournages dans des localités troglodytes d'Afrique du nord, scènes "primitives" montrant des sacrifices humains, recours à des mélopées issues des traditions musicales japonaise, africaine pour la bande-son, travail surprenant sur les costumes de scène qui donnent aux personnages un aspect à la fois primitif et futuriste, etc.).
L'histoire retiendra surtout son oeuvre la plus scandaleuse, à savoir Salo ou les 120 jours de Sodome, sorti en salles la veille de sa disparition dans des circonstances tragiques.
A noter, la Supplique à la mère, un de ses magnifiques poèmes de 1964, qui semble résumer à lui seul le secret de ses relations avec les femmes (Laura Betti), avec les hommes (notamment son amour Ninetto Davoli, un jeune apprenti menuisier), de même que ses conceptions politiques radicales. De cette exposition ressort le portrait d'un homme empli de compassion et de tendresse, malgré le feu et les emportements de la passion. Une figure fascinante et inspirante...