lundi 8 août 2011

Le métissage, avenir de l'Homme ?

Étonnant ou attendu ? Voici quelques usages du terme « métis », tels que recensés par le  Trésor de la langue française : en 1288, le terme signifie « de basse extraction » ; en 1338, « engendré de deux espèces (d’un animal) » ; en 1559, « mestif » veut dire « dont la mère est d’un autre peuple que le père » ; en 1615, « metice » est cité comme mot indigène désignant toute « personne née d’un homme blanc avec une Indienne, ou inversement ». Traînant une bien piètre réputation, les métis voient leur image s’améliorer depuis peu.

Entre rejet…

Créature éminemment impure, le métis, plus proche de l’animal que de l’être humain, voit pourtant ses effectifs croître à mesure que la domination européenne s’étend sur le monde. Officiellement, colons et indigènes n’ont que peu de contacts en dehors des rapports de domination induits par la colonisation. Tout rapport intime, amoureux, est réputé indigne de la part du colon et demeure au pire interdit (comme en Afrique du Sud dès 1685), au mieux largement ignoré, malgré les objections à ce principe constituées par le fruit de ces amours métis, ravalés au rang d’amours ancillaires.

Si on prend l’exemple de l’Indochine, ex-colonie française, le phénomène métis est ignoré par la loi, de même que par les statistiques. En 1937, les estimations quant à leur nombre varient entre 6.000 et 100.000 (1). Marginalisés dès leur naissance, les Eurasiens d’Indochine trouvent difficilement leur place dans la société coloniale, si bien que les forces françaises de sécurité et de répression représentent pour eux un débouché professionnel important. Rejetés par les indigènes indépendantistes, maintenus à distance par les colons, les Eurasiens se retrouvent dans une position de plus en plus difficile dans le contexte des mouvements de libération. En période de tension maximale entre colons et colonisés, prélude à une séparation violente, il n’est plus besoin de pont lancé entre les deux communautés, bien au contraire. Dans les pays nouvellement indépendants, la colonisation est vouée aux gémonies et le bébé métis est jeté avec l’eau du bain.

… et acceptation

Aujourd’hui, le décor a changé du tout au tout. À la faveur de la globalisation, le métissage et la diversité ont retrouvé droit de cité : les nations du nouveau monde se définissent en puisant dans le vivier culturel de groupes natifs autrefois marginalisés : la Nouvelle-Zélande reconnaît ses racines maori en adoptant officiellement la langue de ce peuple en 1987 ; la Bolivie se dote en 2006 d’un président ouvertement amérindien, Evo Morales ; l’Afrique du Sud enterre l’apartheid en se définissant comme une nation arc-en-ciel depuis 1994 ; enfin, last but not least, en 2008, B. Obama, de mère américaine, de père kényan, ayant passé une partie de son enfance en Indonésie, est élu président des Etats-Unis. Ce mouvement s’étend aux vieilles nations européennes : V. Poutine, un temps qualifié de fer de lance d’une Russie ethniquement homogène et orthodoxe, finit par affirmer en 2010 le caractère multiethnique de son pays.

En France, l’accent est mis sur les influences multiples qui ont façonné la culture et l’identité de notre pays : la Renaissance est d’origine italienne, les Lumières se sont largement inspirés de penseurs anglais, le romantisme puise son inspiration en Allemagne, etc. Aujourd’hui, l’Europe tout entière est à son tour soumise à l’influence de peuples qu’elle a autrefois dominés : les Britanniques ont adopté le curry parmi leurs plats favoris, les Allemands plébiscitent le Döner Kebap, tandis que les Français sont sensibles aux influences en provenance du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

Le monde du business n’échappe pas non plus à ce débat et trouve un intérêt managérial à la « démarche métisse », qui repose sur la capacité à fonder son jugement sur plusieurs points de vue à la fois, le sien mais également celui de l’autre, de façon à prendre des décisions soutenables et adaptées à un contexte multiple. C’est sans doute la raison qui pousse les entreprises à promouvoir la diversité : elles savent que, étant donné la complexité et la diversité actuelles, les décisions fondées sur une analyse trop restrictive sont vouées au rejet et à l’échec. Ainsi, si on prend l’exemple de L’Oréal, la promotion de la diversité au sein de cette entreprise vise à « développer une culture managériale inclusive, respectueuse de tous ».

Autrefois rejeté, synonyme de déchirement entre deux mondes opposés, de troubles identitaires, le métissage apparaît désormais comme une force à utiliser à bon escient dans un monde multiple et interconnecté. Ainsi, la langue anglaise aurait assis sa domination en démontrant sa capacité à intégrer les mots et expressions en provenance des Antilles, de la communauté afro-américaine, de l’Afrique, ou encore du sous-continent indien. Par contraste, le déclin du français serait lié à la volonté d’en conserver la pureté (2).

Le métissage et la démarche inclusive qui le sous-tend répondent ainsi à un besoin d’adaptation, en favorisant l’émergence des solutions les plus adaptées aux défis de la globalisation.




(1) Le Huu Khoa, L’Interculturel et l’eurasien, L’Harmattan, Paris, 1993, p.78
(2) C’est du moins ce qu’affirme Melvyn Bragg, The Adventure of English, the Biography of a Language, Hodder & Stoughton, Londres, 2004.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire