jeudi 26 décembre 2013

L'Innocente, Gabriele d'Annunzio, 1892


Aujourd'hui, nous nous pencherons sur L'Innocente, roman incandescent publié par Gabriele d'Annunzio (1863-1938) au tournant du siècle, en 1892. Cet auteur est une figure majeure de la littérature italienne de la fin 19e, début du 20e siècle. Il est généralement classé parmi les tenants de l'école décadente, en raison de sa figure de dandy fin de siècle offrant une peinture vivante des moeurs dissolues de la bourgeoisie de la fin du 19e siècle, à l'aube du Premier conflit mondial et de l'avènement du fascisme, mais il plonge également son inspiration parmi les romanciers réalistes français (Guy de Maupassant, Emile Zola, Gustave Flaubert) et russes (Dostoïevski).
L'Innocente (rendu en français par le titre L'Intrus) nous conte l'histoire d'un homme, Tullio Hermil, au tempérament passionné et exacerbé qui se livre tout entier au plaisir et à la volupté de relations extra-conjugales, avant de revenir vers sa femme, Giuliana, qu'il a un temps considérée comme sa soeur avant de tenter de la reconquérir... jusqu'à ce qu'il se rende compte de l'impureté de cette soeur qui, rejetée par son mari, est tombée dans les filets d'un romancier en vogue en la personne de Filippo d'Arborio, de qui elle attend un enfant.

Le coeur du roman est organisé autour de la grossesse de Giuliana qui plonge son mari dans les extrémités, si bien qu'il en conçoit une haine implacable envers l'intrus qui le mènera à le supprimer par exposition à l'air glacé de l'hiver alors que toute la maisonnée (la Badiola) est allée se recueillir à la messe de minuit, le laissant en tête-à-tête avec le petit Raimundo (Mundino). L'agonie de l'Innocent est l'occasion d'une scène climatique, alors que Mundino étouffe, levant ses petites mains bleuies et écartelées par l'asphyxie à chaque cuillérée d'éther que lui administre le médecin de famille afin de tenter de le ranimer, tandis que sa frontanelle se creuse démesurément, comme si l'enfant tentait d'inspirer l'air qui lui manque, y compris par cet orifice.

L'oeuvre de d'Annunzio est remarquable en ce qu'elle nous mène au  coeur des émotions de Tullio, à mesure que sa haine envers l'intrus grandit, ne lui laissant aucun répit, d'autant qu'il est obligé d'assumer extérieurement la paternité de l'enfant, ce qui l'amène à mimer, à grand-peine, les sentiments de tendresse qu'il est censé éprouver pour le nouveau né. On voit alors cet homme emporté par des sentiments qu'il ne domine plus, et sa faiblesse d'homme sensuel et émotif apparaît de plus en plus clairement dans la description minutieuse de son impuissance à changer le cours des choses, notamment au moment de l'accouchement de Giuliana, dont il observe horrifié le déroulement, incapable de soulager les souffrances de sa femme.

Les larges emprunts de d'Annunzio à la littérature transalpine, notamment Une page d'amour d'E. Zola, lui vaudront des accusations de plagiat de la part de ses contemporains, de même que certaines ambiances fantastiques présentes dans le roman lui ont vraisemblablement été inspirées par ses lectures de G. de Maupassant. Le lyrisme précieux dont il fait preuve demeure néanmoins caractéristique d'un style flamboyant unique, notamment dans son utilisation des paysages ou des fleurs dont les caractéristiques (formes, luminosité, couleurs ou parfums) semblent refléter les différents états émotionnels par lesquels passe Tullio.


En 1976, Luchino Visconti adapte L'Innocente au cinéma, choisissant d'insister sur la sensualité et la brutalité de Tullio,  faisant évoluer ses personnages dans de luxueux intérieurs et salles de concert romains, avant de situer le noeud de l'histoire dans une villa splendide des environs de Lucques. On saluera le choix de son acteur principal en la personne de Giancarlo Giannini, qui campe un Tullio splendide, tour à tour infidèle, amoureux puis assassin, avec une élégance et un feu remarquables.






Film Still

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