samedi 14 décembre 2013

La Vénus à la fourrure, Roman Polanski, avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric, 2013




Le film commence par un long travelling le long du boulevard des Batignolles qui entraîne le spectateur en direction du théâtre Hébertot à la suite d'un être dont seule l'ombre se dessine à la lumière des éclairs qui zèbrent le ciel sur les battants de la porte du théâtre. L'ambiance surnaturelle est plantée - ce film a pour sujet Vénus et les prodiges dont elle est susceptible.
 
Un metteur en scène (Thomas / Amalric) est au désespoir de trouver une actrice pour incarner Wanda von Dunajew aux côtés de Severin von Kusiemski, deux personnages tirés de la Venus im Pelz publié en 1870, centré sur les relations troubles entre deux personnages entretenant un rapport de force fluctuant, non pour le simple plaisir du jeu, mais pour la découverte de leur nature profonde, plus particulièrement celle du personnage  masculin.
 
Le rapport de force se retrouve entre Thomas et son actrice putative, le premier a d'abord le dessus, de par sa position sociale, sur la petite actrice qui vient le voir en le suppliant de lui donner le rôle pour lequel elle est venue auditionner. Mais, très rapidement, il perd son avantage et son complexe de supériorité s'effrite à mesure qu'il s'aperçoit que l'actrice qu'il avait prise pour une cruche, tombant dans tous les pièges qu'elle lui tendait en jouant sur son apparence légère / vulgaire / écervelée, comprend mieux la pièce et la personalité des personnages que lui-même. Lui reste empêtrée dans une approche conceptuelle, tandis qu'elle fait preuve de simple bon sens, utilisant son remarquable instinct des relations humaines... Enfin, son approche n'est pas si superficielle car elle dévoile au fur et à mesure une connaissance approfondie de la pièce, qu'elle connaît sur le bout des doigts, tout comme le livre dont elle est tirée -- elle s'est renseignée précisément sur le contexte historique, jusqu'à faire tirer de sa besace une veste d'intérieur comme par magie, qui va comme un gant à Thomas et qui semble être d'époque.
 
Le metteur en scène est ainsi charmé dans tous les sens du terme. Il faut dire que Seigner / Vénus ne ménage pas ses efforts, en s'immiscant de plus en plus fortement dans le travail créatif , suggérant une ouverture susceptible de donner une perspective nouvelle à la pièce, tout en lui donnant une charge érotique qui la parcourt jusqu'à la fin (et c'est le cas du film également). C'est elle qui décide des allers et retours entre d'une part le temps de la répétition, durant lequel le spectateur est complètement plongé dans l'oeuvre théâtrale, vit et sent comme les personnages dont les échanges deviennent de plus en plus intenses, et la réalité du 21e siècle d'autre part, c'est-à-dire les rapports entre l'actrice et son metteur en scène, l'explication du texte sur un mode de vulgarisation (c'est ainsi que l'oeuvre du 19e siècle devient un petit porno de bas étage). Le spectateur est physiquement secoué par ces allers et retours entre deux réalités distinctes, mais pour autant liées l'une à l'autre, et de plus en plus à mesure que les rapports instaurés par les deux personnages au sein de la pièce débordent sur les rapports actrice / metteur en scène. Thomas devient Severin, l'esclave de Wanda.
 
Mais ce n'est pas encore assez pour Vénus dont la vengeance doit être complète. Elle démontre au metteur en scène que dans son adaptation machiste d'une oeuvre machiste, l'homme tire constamment les ficelles, même lorsqu'il feint de se proclamer l'esclave de sa maîtresse. Or, Seigner / Vénus veut aller encore plus loin et propose que l'homme devienne la femme, de façon à lui faire endosser le rôle prétendûment dominant, alors qu'en fait la maîtresse n'est que le produit des fantasmes et du déréglement sensuel de l'homme. D'une soumission de façade, Seigner / Vénus fait plonger l'homme dans l'univers de la soumission véritable, sans filet de sécurité. Elle le fait quitter son univers douillet, afin de le révéler à lui-même, lui procurant alors une jouissance véritable et dont il est secrètement demandeur en échange de sa dégradation et de son humiliation.
 
A noter le jeu des deux acteurs très convaincant, notamment celui d'Emmanuelle Seigner, qui joue comme personne de son regard électrisant et érotiquement chargé. Une oeuvre qui appelle à l'introspection et à la découverte d'un univers cuir, non pas carnavalesque ou de pacotille, mais véritable, celui qui fait perdre pied à ses adeptes et les emmène vers une meilleure connaissance de soi, une illumination en quelque sorte...

 

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