jeudi 16 avril 2015

Histoire de Judas

C'est une version naturaliste de la vie de Jésus parmi ses disciples, dont le fidèle Judas s'occupant de l'intendance de son maître, au sein des superbes paysages algériens, lieu de tournage du film. Jésus s'intègre ainsi au décor rugueux, aride et méditerranéen qui l'entoure, parmi les plantations d'oliviers, les walis, les troupeaux de chèvres et les élevages de poules des paysans modestes auprès desquels il prêche. C'est un Jésus réaliste, partie prenante d'une civilisation sémite, il est clairement identifié comme un personnage du Proche-Orient dont il a les caractéristiques physiques, le teint, les cheveux, la longue robe/djellabah et le foulard dont il se ceint la tête et qu'il rajuste à tout moment lorsque le vent venu de désert le rabat sur ses épaules. Nous sommes loin des représentations idéalisées d'un Jésus blond aux yeux bleus, non Jésus est un Arabe juif dans ce film, et la bande son ainsi que l'ambiance proche-orientale dans laquelle il évolue sont là pour le rappeler. 

Nous le suivons dans les prêches des derniers jours, et nous le découvrons parfois intransigeant, notamment lorsqu'il chasse les marchands du temple, en libérant les animaux (poules, chèvres) des cages et autres enclos dans lesquels ils sont placés pour en faire le commerce. A une autre reprise, nous le découvrons au contraire plein de sollicitude et de bienveillance, notamment lorsque les villageois lui amènent Bethsabée coupable d'adultère en lui demandant si elle doit être lapidée. "Que celui qui n'a jamais péché lui lance la première pierre," conseille-t-il alors à la foule vindicative. Ce qui donne lieu à une très belle scène durant laquelle la mère de Bethsabée, Suzanne, vient le remercier en enduisant son front d'un parfum hors de prix, le nard, pour l'achat duquel elle s'est ruinée. Nous voyons également, avant la dernière Cène, Jésus laver les pieds de ses disciples sous le regard plein d'incompréhension de certains de ses compagnons, qui ne saisissent pas la portée de cet acte d'humilité par le renversement des rôles : le maître se fait le serviteur de ses disciples.

Le film rappelle également la portée politique de l'action menée par Jésus, qui remet en cause la domination de la Judée par Rome, ce qui amène les autorités romaines en la personne de Ponce Pilate à réagir en ordonnant son arrestation et sa crucifiction. Quelle ironie que de penser que, trois cents ans plus tard, le christianisme devient la religion officielle de l'empire romain suite à la conversion de Contantin.

Le film souligne ainsi la pluralité du message de Jésus qui peut être interprété comme une incitation à la rébellion tout comme il peut être mis à profit par le pouvoir afin de s'assurer une emprise spirituelle sur ses administrés. Le caractère protéiforme de l'enseignement du christ peut être mis sur le compte de son refus de voir ses paroles reproduites fidèlement par un scribe, par peur de voir son message figé, puis récupéré par une autorité. Conformément aux désirs de son maître, Judas casse les tablettes et brûle les parchemins du scribe Philo (?) qui a fidèlement retrancript les paroles du christ, ce qui vaut à Judas d'être poignardé.

Du fait de leur caractère non figé et mouvant, les enseignements du Christ ont fait l'objet de maintes tentatives de récupération par les pouvoirs en place, tout comme ils ont servi à justifier les combats contre l'oppression (voir les débats autour de la fin de l'esclavage au 17e siècle, la lutte contre les régimes totalitaires socialistes comme dans la Pologne des années 1980, ou encore la théorie de la libération prêchée par certains prélats latino-américains, dont le pape François actuel).

Dans le film, Jésus, qui est un homme pratiquement comme les autres, un peu plus sage certes, est loin de se douter de l'ampleur que son personnage est appelé à prendre, notamment après sa mort. D'ailleurs, sa résurrection est rapidement évoquée lorsqu'on le voit surgir entre de hautes plantes et s'avancer résolument à la rencontre de son destin, peu de temps après avoir été crucifié et expiré sur la croix... 








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