vendredi 17 avril 2015

L'Eclipse


Film italien réalisé par Michelangelo Antonioni, avec Alain Delon et Monica Vitti, sorti en 1962.


Le film d'Antonioni nous fait voyager à des années-lumières de l'époque contemporaine. Nous sommes en pleines Trente Glorieuses, la croissance est rugissante dans cette Italie du début des années 1960, l'argent semble couler à flot et aucun des personnages ne semble souffrir de problèmes matériels, du moins avant qu'un mini-crash boursier n'emporte les économies de la mère de Vittoria, personnage principal féminin incarné par Monica Vitti, victime de sa passion pour l'achat de titres boursiers dont le cours finit par s'effondrer. C'est plutôt l'affluence et nos héros sont mus par un optimisme de façade, particulièremet le personnage incarné par Alain Delon -- ils naviguent ainsi entre belles demeures, voitures de luxe et baptêmes de l'air en petit avion de tourisme privé.

Les personnages sont-ils pour autant heureux ? Rien n'est moins sûr, comme le montre le regard plongé dans le vague que nous surprenons à plusieurs reprises chez Vittoria, qui vient de terminer une histoire d'amour de longue date et tente de retomber amoureuse du personnage incarné par Alain Delon, jeune courtier de bourse fougueux, consummé par ses activités professionnelles, mais qui néanmoins trouvera le temps de tomber amoureux de Vittoria. L'amour provoquera d'ailleurs une crise existentielle chez ce dernier également, lorsqu'on le voit ne plus décrocher les multiples postes téléphoniques qui l'entourent, les yeux plongés dans le vague à son tour. Nous réalisons alors que la passion et l'énergie déployés dans son travail cachaient en fait un malaise camouflé par le rythme de vie survolté des journées boursières.

Les deux personnages principaux sont excellemment interprétés, par Monica Vitti d'une part, qui plante une jeune femme mélancolique dont la vie est déterminée par les histoires d'amour qu'elle subit de manière plus ou moins passive. Elle ne semble avoir rien d'autre dans sa vie, pas de travail, juste sa mère et quelques ami(e)s. Le personnage d'Alain Delon, d'autre part, s'investit entièrement dans ses activités professionnelles, dont il tire de confortables revenus qui lui permettent de se pavaner dans des voitures de luxe successives, quitte à entourlouper quelques pauvres individus ayant investi leurs économies dans la bourse si incertaine. Alain Delon déploie une belle énergie à incarner ce courtier en bourse, avec une vivacité et une véracité d'une grande crédibilité. Il déploie également son charme quand il cherche à séduire Vitti, mais sans l'appuyer de mimiques narcissiques ou exagérées comme l'aurait fait peut-être son grand rival de l'époque, Helmut Berger. Alain Delon se contente d'afficher une masculinité tranquille, sans jamais chercher à en faire trop. Compte tenu de son physique avantageux, il adopte un profil plutôt modeste en ne surjouant à aucun moment la carte du "beau gosse", ce que le spectateur appréciera.

Outre les appartements modernes qui tiennent lieu de décor des scènes tournées en intérieur (quartier de l'EUR à Rome), à l'exception de la maison familiale dans laquelle Delon emmène Vitti pour l'impressionner, le film donne à voir les nouveaux quartiers de la ville éternelle en pleine expansion, aux constructions en hauteur, généralement anguleuses et aux lignes sobres, qui s'intègrent parfaitement à l'esthétique du film sobrement tourné en noir et banc.

Un film discrètement critique vis-à-vis des "années fric" de l'Italie d'après-guerre, en contraste avec la relative pauvreté avec laquelle le pays s'était jusqu'alors débattue... A une époque où l'on cherche désespérément à renouer avec la pleine croissance et le plein emploi, le propos dénonciateur du film (en filigranne), où les personnages privilégient l'atteinte d'objectifs matériels (l'une par le biais de ses riches amants, l'autre par son activité professionnelle frénétique) au détriment d'un accomplissement existentialiste frappe par un certain anachronisme.
















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