jeudi 9 avril 2015

Le Horla

D'après l'oeuvre de Guy de Maupassant (1886). Théâtre de Châtillon. Mise en scène et comédien : Jérémie Le Louët. Production : Compagnie des Dramaticules.

C'est l'histoire d'un homme, rentier, il vit seul, ne travaille pas et se consacre tout entier à la lecture, aux voyages, à jouir de sa propriété à proximité de Rouen, en bord de Seine. Un jour, un vaisseau brésilien longe sa maison et c'est à partir de ce moment que, d'abord imperceptiblement puis de plus en plus nettement, il se met à dérailler jusqu'à en perdre la raison, car il est sujet au délire de la persécution et se croit poursuivi par une créature invisible, le Horla, qui l'attaque d'abord pendant son sommeil en s'asseyant sur sa poitrine pour l'empêcher de respirer et l'étouffer, puis sa présence devient de plus en plus envahissante jusqu'à ne plus le quitter, en le conduisant à brûler sa belle demeure et même, comme le suggère la mise en scène de ce soir, à se brûler la cervelle.

On ne manquera pas d'admirer la performance du seul acteur en scène, Jérémie Le Louët, qui joue particulièrement de son regard de plus en plus exorbité, s'éclairant le visage par en dessous, par côté (gauche, puis droite), par dessus, avec une lampe électrique portative, accentuant les expressions de son visage déformé par l'engoisse. Il communique au spectateur l'état d'esprit de son personnage, d'abord en proie à une légère peur et au doute, suite à des changements dans sa vie qu'il ne parvient pas à expliquer (cauchemars récurrents, fatigue, mauvaise humeur, mélancolie). Un être invisible semble lui pomper son énergie, tout en distillant une inquiétude que son esprit, de plus en plus affaibli, ne parvient pas à dissiper. La demeure semble être hantée par une force maléfique qui s'attaque à son équilibre psychique. Cette impression d'être épié par un esprit aux aguets, tapis dans l'ombre de la nuit alors qu'il se couche pour dormir, va croissant, jusqu'au moment où le personnage voit la créature, sans vraiment la voir : une rose de son jardin cueillie sous ses yeux par... rien ?, des branchages qui se plient de manière inexpliquée, jusqu'aux pages d'un livre qui se tournent toutes seules malgré l'absence du moindre souffle d'air dans la chambre, jusqu'au fait de ne pas pouvoir se voir dans la glace de sa chambre, comme si une forme s'interposait entre lui et le miroir, font peu à peu perdre la raison du personnage qui se met alors à dévaler la pente glissante qui le mène à la folie.

Au début, le spectateur est vite convaincu de la présence du Horla. Puis, peu à peu, un autre élément vient s'ajouter aux causes irrationnelles de notre angoisse et de celle du personnage. C'est que ce dernier perd les pédales et sa raison. Il devient obsédé par Le Horla qu'il sent près de lui à chaque instant, si bien qu'il se précipite sur sa chaise vide pour le chasser à coups de poings assénés dans le vide. Il sent sa présence, sans jamais parvenir à le voir ni à établir la preuve scientifique de sa présence. On finit par hésiter : Le Horla existe-t-il ou alors n'est-il que le produit de l'imagination du personnage de plus en plus dérangé. L'action se conclut par une scène paroxystique au cours de laquelle le héros croit avoir enfermé le Horla à l'intérieur de sa chambre transformée en bunker suite aux travaux qu'il a entrepris pour piéger son assaillant, avant de mettre le feu à sa demeure, tout en ayant oublié les domestiques qui habitent là à demeure...

On est hypnotisé par le jeu de Jérémie Le Louët qui utilise divers procédés de mise en scène / éclairage  pour faire monter la tension : variation de son registre vocal, de son débit, de l'angle d'éclairage de son visage, projections vidéos / détourage de la silhouette de l'acteur afin de suggérer le dédoublement schizophrénique du personnage. Le Louët fait également référence à des oeuvres fantastiques contemporaines, on reconnaît ainsi la musique de la scène de bal de Shining. Mais son plus bel effet est sans doute obtenu grâce à un ustensile de cuisine très simple, une bouilloire électrique peinte en rouge qui, lorsqu'il la met en route, émet une vapeur d'eau qui à travers les éclairages scéniques nous figure la silhouette d'un être fantastique, peut-être Le Horla ?

La représentation est suivie d'un débat autour de l'acteur/metteur en scène, animé par des membres du Cercle des Etudes Freudiennes qui nous livrent une analyse psychanalytique de l'oeuvre de Maupassant en faisant quelques références à Lacan qui distingue plusieurs registres de la réalité (symbolique, imaginaire et réel). Le Louët s'explique alors sur les passages de l'oeuvre de Maupassant qu'il a laissés de côté, comme les séances d'hypnose, trop explicatives selon lui. Car rien de tel que le doute, l'inexpliqué et l'inconnu  pour susciter l'épouvante... Une relecture intéressante de l'oeuvre de Maupassant, un numéro d'acteur seul en scène spectaculaire mis en valeur par une mise en scène explosive. C'est d'la bombe bébé !














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