mercredi 24 juin 2015

Candide ou l'optimisme, Voltaire, 1759

Texte lu par Jean Topart. Livre audio édité par Frémeaux & Associés en 2004, téléchargé via l'application Audible.

Candide ou l'optimisme apparaît de prime abord comme un conte satirique. Sa dimension de conte se retrouve dans les évènements extraordinaires que traverse le héros Candide, généralement défavorables (torture, guerre, vols, exils, naufrage, le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, etc.), parfois favorables (notamment lorsqu'il séjourne dans l'Eldorado, véritable pays de cocagne ou encore lorsqu'il retrouve sa dulcinée Cunégonde ou encore son maître Pangloss après les avoir cru morts tous les deux). Sa dimension de satire provient du fait que Voltaire se moque ouvertement d'institutions et de courants de pensée encore prévalents à son époque :

  • l'Eglise, critiquée en ce qu'elle cautionne les guerres, l'esclavage et un grand nombre de pratiques violentes, en parfaite contradiction avec le dogme pacifiste et solidaire qu'elle promeut. Parmi les gens d'Eglise, les jésuites sont la cible particulière de Voltaire de par leur proximité systématique des puissants, dont ils sont prêts à justifier toutes les erreurs et tous les actes, même s'ils sont contraires à la foi chrétienne, à partir du moment où ces puissants leur donnent accès à l'argent et au pouvoir dont ils sont friands.
  • l'aristocratie, dont le caractère involutif est souligné par Voltaire par le biais du frère de Cunégonde : en refusant de remettre en cause la légitimité de son statut social, disproportionné par rapport à sa contribution réelle à la société, en faisant preuve d'orgueil, en ne voyant pas la fragilité de sa situation face à la bourgeoisie commerçante dont les intérêts s'affirment tous les jours d'avantage au 18e siècle, l'aristocratie donne d'elle-même une image ridicule et décalée, arrogante et déplaisante, et finalement elle prépare sa propre chute, emportée par les révolutions qui vont secouer l'Europe à la fin du 18e siècle et au début du 19e.

Du point de vue des idées, Voltaire s'attaque à l'optimisme bêlant de la philosophie de Leibniz qu'il caricature par le biais de Pangloss, le maître de Candide, dont la formule récurrente est la suivante : "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles". Il renvoie ainsi dos à dos la théodicée de Leibniz et le manichéisme, qui divise le monde, les évènements et les personnes en deux catégories : l'une, positive, relève du royaume de la lumière ; l'autre, négative, relève du royaume des ténèbres. A ces deux positions tranchées, Voltaire oppose une philosophie pragmatique et raisonnablement optimiste, en fonction des efforts que l'homme voudra bien consacrer à son propre bonheur :

  • Dans son Théodicée (1747), le philosophe allemand Leibniz part de la perfection de Dieu qui, en tant que créateur de notre monde, du fait de son caractère infaillible, n'a pu créer un monde aussi imparfait que le nôtre. Comment expliquer ce décalage entre la perfection divine et le monde qui nous entoure ? Leibniz dans son ouvrage affirme qu'il s'agit en fait là d'un acte délibéré de la part de Dieu, qui a voulu le monde exactement tel qu'il se trouve devant nos yeux, selon le principe de la "raison suffisante". A chaque imperfection correspond une raison, si bien qu'au final, les maux du monde ne peuvent être moindres que ce qu'ils sont. Ainsi, dans l'ouvrage de Voltaire, chaque mésaventure de Candide est l'occasion d'une charge renouvelée contre la Théodicée, ou justice divine : Candide éprouve ainsi de plus en plus de mal à faire le lien entre le viol et l'assassinat supposé de Cunégonde par des soudards ou encore la terrible catastrophe naturelle du tremblement de terre de Lisbonne survenue en 1755 alors qu'il se trouve justement dans cette ville, et la parfaite harmonie du tableau de l'univers défendue par Pangloss et, à travers lui, Leibnitz.
  • Autre sujet de raillerie de la part de Voltaire, le manichéisme est incarné dans le conte par Martin, un philosophe aux idées plutôt pessimistes avec lequel Candide aime à débattre. Un des fondements du manichéisme (du nom de son fondateur perse Mani, 3e siècle) consiste à séparer le monde en deux : (i) le royaume de la lumière, d'une part, royaume de la Vie divine au sein duquel s'exprime ce qui est d'éternité ; (ii) le royaume des ténèbres, d'autre part, ou royaume de la matière, des "morts", au sein duquel s'exprime ce qui est transitoire. Ces deux royaumes s'opposent et chacun tente de l'emporter. Le manichéisme enseigne les principes qui doivent permettrent à la lumière de l'emporter sur les ténèbres, en prônant chez ses adeptes un rejet de toute forme de matérialisme et de sensualité dans leur vie par une tentative d'oubli de leur corps au profit de leur âme.
A ces deux philosophies apparaissant sans nuance et sans prise avec le réel, Voltaire oppose un optimisme mesuré, fondé sur le discernement et une vision pragmatique du monde, en tenant compte de ses imperfections et de ses injustices. Il invite le lecteur à se débarrasser de tout fatalisme en faisant preuve d'initiative  et d'esprit d'entreprise afin de contribuer à modifier le monde qui l'entoure dans un sens davantage favorable à ses intérêts. C'est sans doute ainsi qu'il faut interpréter cet extrait du conte, qui raisonne particulièrement de nos jours, en plein débat sur le travail et les maux qu'il entraîne. Alors, back to basics ?

"Le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin." (chapitre XXX)

Sources :
  • "Candide", Wikipedia, consulté le 1er juin 2015
  • "Gottfried Wilhelm Leibniz", Wikipedia, consulté le 24 juin 2015
  • "Etude d'oeuvre : Candide de Voltaire", studyrama.com, consulté le 1er juin 2015
  • "Manichéisme (religion)", Wikipedia, consulté le 24 juin 2015 




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire