Comédie de Sam Bobrick et Ron Clark créée à Broadway en 1973 sous le titre No hard feelings, adaptée pour le public français pour la première fois par Jean Poiret en 1992, déjà au Théâtre du Palais Royal, sous le titre Sans rancune. Reprise sur la même scène en 2015, cette fois dans une adaptation de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, mise en scène par Sébastien Azzopardi, avec Daniel Russo (Victor Pelletier, le "PDG") ; Anne Jacquemin (Céline Pelletier, la "cougar") ; Xavier Letourneur (Alex, "l'escroc") ; David Talbot (Roberto, le "smicard") ; Nassima Benchicou (Margot, "la psy") ; Jessica Borio (Nelly, la "nympho").
A deux pas de la Comédie française se trouve le Théâtre du Palais-Royal spécialisé dans le théâtre dit de boulevard, et dont le répertoire est composé de comédies légères, telle la Cage aux Folles de Jean Poiret, créée en 1973.
Malgré la proximité de l'illustre Maison de Molière (1680), le Théâtre du Palais-Royal tire son épingle du jeu par une histoire longue (1784), prestigieuse et pleine de rebondissements. Nous sommes en 1648 lorsque le Palais-Cardinal construit par Richelieu est rebaptisé Palais-Royal afin d'y accueillir Louis XIV, alors qu'il n'est encore qu'un enfant. Plus tard, Philippe d'Orléans entreprend, en 1780, de transformer entièrement son domaine en créant à l'intérieur du jardin trois nouvelles rues qui sont baptisées des titres de ses trois fils : de Valois, de Beaujolais et de Montpensier. C'est à l'extrêmité de la rue de Montpensier que vient s'installer la troupe des "Petits comédiens de S.A.S. Monseigneur le Compte de Beaujolais" au sein du nouveau Théâtre du Palais-Royal inauguré en 1784.
Sous la révolution, à partir de 1789, le Théâtre des Beaujolais, racheté par la Montansier, connaît une période faste sous la direction de cette dernière qui n'a pas son pareil pour dénicher les auteurs et les interprètes à succès, en produisant des opéras-comiques et des comédies aux titres évocateurs, comme Le Sourd ou l'Auberge pleine de Desforges qui sera jouée 200 fois ! Cette période de salles combles se prolonge jusqu'en 1798, année durant laquelle la Montansier se retire, prélude au déclin du théâtre, menant à sa fermeture définitive en 1812 et sa transformation en débit de boissons, le Café de la Paix.
Les activités théâtrales font leur retour en ce lieu sous l'impulsion de Dormeuil, acteur du Théâtre du Gymnase qui, en 1830, entreprend d'importants travaux de rénovation qui donnent le jour à l'encorbellement métallique au-dessus de la rue de Montpensier. Pourtant, il faut attendre 1838 pour que le Théâtre renoue avec le succès, porté par sa découverte d'un nouvel auteur, Eugène Labiche qui, de 1838 à 1877, offrira au Théâtre 88 comédies, à commencer par M. De Coylin ou l'homme infiniment poli. Outre Labiche, Dormeuil découvre également Offenbach, Meilhac et Halévy, Hortense Schneider ou encore Victorien Sardou. Les directeurs qui lui succèdent sortent de l'ombre d'autres auteurs à succès, dont Georges Feydeau.
Plus près de nous, le Théâtre du Palais-Royal s'illustre par plusieurs découvertes et succès, parmi lesquels :
- La Cage aux Folles, de Jean Poiret, créée en 1973, avec Michel Serrault, plus gros succès du théâtre français ;
- Sasha Guitry (Une Folie ; Un Sujet de roman) ; ou encore
- Laurent Baffie (Toc Toc, Les Bonobos).
La pièce que nous voyons ce soir se situe dans la lignée éditoriale du théâtre de boulevard. Et pour en résumer l'intrigue, nous reprendrons la description que nous en donne le livret :
"Quand vous êtes le roi du CAC 40 et que votre femme vous quitte pour un smicard de Barbès, c'est la crise. Quand votre fille fait des études de psy et vous prend pour son cobaye, c'est la crise. Quand votre associé véreux veut profiter de la tourmente pour racheter votre société, c'est la crise. Quand la meilleure amie de votre femme est nymphomane et que vous êtes sa prochaine proie, c'est la crise."
On l'aura compris, il n'entre pas dans l'objet de la pièce de s'apesantir sur les discours nuancés ni sur les constats subtils, le propos est ici clairement caricatural. Le riche est affublé de tous les clichés généralement attachés aux gens d'argent : une vision de la vie réduite aux possessions matérielles et à leur accumulation ; un jugement au sein duquel n'entre aucune approche sensible des êtres et des situations ; une propension à écraser tout et tout le monde sur son passage -- les autres n'ayant pas voix au chapitre, ayant moins bien réussi dans la vie. Le pauvre est sympa, même s'il habite dans un gourbi dans les "mauvais" quartiers de la ville. Certes, il passe les plats dans un restaurant à tapas (Roberto est d'origine espagnole), ce qui ne l'empêche pas de garder sa bonne humeur et un calme olympien face aux provocations et aux attaques du riche qui ne supporte pas que sa femme... quoi... partie... avec un serveur ? La psy, qui se trouve être la fille du riche, parle de façon incompréhensible, ampoulée et précieuse pour désigner les situations les plus banales de la vie quotidienne, en faisant appel à des concepts fumeux censés caractériser le type de relations que les individus entretiennent entre eux. La nympho, elle, est particulièrement nympho, où tu veux quand tu veux, parfaitement sur-jouée par Jessica Borio qui en fait un des éléments comiques de la pièce les plus réussis.
Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, adaptateurs de la pièce, l'avouent sans détour dans le livret : ils nous livrent leur vision de la société, celle de l'affrontement entre "deux France en souffrance. Celle des puissants, qui ont tout, mais qui ont oublié les valeurs humaines les plus essentielles. Et celle des "sans dents" qui ne possèdent rien mais qui connaissent le sens de la vie."
C'est sans doute dans cette conception que la pièce est la plus faible. En effet, ce type de propos démagogiques en limite la portée sociale. Car s'il suffisait d'être pauvre pour être brave, et si la richesse condamnait tous ceux qui la connaissent à la bêtise et au manque de coeur, cela se saurait. A moins d'avoir la chance d'hériter d'une fortune familiale, il n'est pas déraisonnable de supposer que, pour réussir dans le monde des affaires, il soit nécessaire d'avoir certaines lumières sur la façon dont fonctionnent les choses de la vie, de bénéficier d'un instinct acquis par une fine observation des personnes et des évènements, d'avoir un bon jugement et d'être à même de savoir s'entourer de collaborateurs compétents, stables et sur lesquels on pourra compter en cas de besoin. A contrario, on a du mal à croire à la soudaine conversion du "pauvre" aux vertus de l'esprit d'entreprise -- il cherche ainsi, vers la fin de la pièce, à s'établir à son compte en ouvrant son restaurant. En effet, ce changement peut paraître artificiel aux yeux du spectateur qui a vu son personnage dans un rôle passif, gentillet et accommodant pendant le reste de la pièce.
On regrettera ainsi que la pièce se contente d'énoncer des principes généraux, banals et même faux sur les riches d'un côté, les pauvres de l'autre. On aurait aimé qu'elle aborde certains problèmes sociaux de manière plus frontale, quitte à prendre davantage de risques, en intégrant les questions liées à l'immigration par exemple dans son propos (c'était le cas dans la version de 1992, dans laquelle les origines grecques de l'amant de Mme Pelletier étaient clairement mises en avant). A l'heure actuelle, on aurait bien vu Mme Pelletier s'amouracher d'un individu d'origine maghrébine par exemple, ce qui aurait donné à la pièce une assise sociale plus ample en lui donnant l'occasion de déconstruire un certain discours xénophobe, tout en abordant frontalement les problèmes liés à l'immigration. Mais ces thèmes sont difficiles à aborder sans susciter des réactions épidermiques et polémiques, aussi les adaptateurs ont préféré ne pas s'aventurer sur ce terrain. Dommage...
Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, adaptateurs de la pièce, l'avouent sans détour dans le livret : ils nous livrent leur vision de la société, celle de l'affrontement entre "deux France en souffrance. Celle des puissants, qui ont tout, mais qui ont oublié les valeurs humaines les plus essentielles. Et celle des "sans dents" qui ne possèdent rien mais qui connaissent le sens de la vie."
C'est sans doute dans cette conception que la pièce est la plus faible. En effet, ce type de propos démagogiques en limite la portée sociale. Car s'il suffisait d'être pauvre pour être brave, et si la richesse condamnait tous ceux qui la connaissent à la bêtise et au manque de coeur, cela se saurait. A moins d'avoir la chance d'hériter d'une fortune familiale, il n'est pas déraisonnable de supposer que, pour réussir dans le monde des affaires, il soit nécessaire d'avoir certaines lumières sur la façon dont fonctionnent les choses de la vie, de bénéficier d'un instinct acquis par une fine observation des personnes et des évènements, d'avoir un bon jugement et d'être à même de savoir s'entourer de collaborateurs compétents, stables et sur lesquels on pourra compter en cas de besoin. A contrario, on a du mal à croire à la soudaine conversion du "pauvre" aux vertus de l'esprit d'entreprise -- il cherche ainsi, vers la fin de la pièce, à s'établir à son compte en ouvrant son restaurant. En effet, ce changement peut paraître artificiel aux yeux du spectateur qui a vu son personnage dans un rôle passif, gentillet et accommodant pendant le reste de la pièce.
On regrettera ainsi que la pièce se contente d'énoncer des principes généraux, banals et même faux sur les riches d'un côté, les pauvres de l'autre. On aurait aimé qu'elle aborde certains problèmes sociaux de manière plus frontale, quitte à prendre davantage de risques, en intégrant les questions liées à l'immigration par exemple dans son propos (c'était le cas dans la version de 1992, dans laquelle les origines grecques de l'amant de Mme Pelletier étaient clairement mises en avant). A l'heure actuelle, on aurait bien vu Mme Pelletier s'amouracher d'un individu d'origine maghrébine par exemple, ce qui aurait donné à la pièce une assise sociale plus ample en lui donnant l'occasion de déconstruire un certain discours xénophobe, tout en abordant frontalement les problèmes liés à l'immigration. Mais ces thèmes sont difficiles à aborder sans susciter des réactions épidermiques et polémiques, aussi les adaptateurs ont préféré ne pas s'aventurer sur ce terrain. Dommage...
Une mention spéciale à la star de la pièce, Daniel Russo, qui incarne un businessman complètement dépassé par la tournure des évènements. Il est charismatique, il porte la pièce sur ses épaules, en étant au centre de toutes les scènes pratiquement, et même sa conversion humaniste finale est l'occasion d'un grand numéro de comédien. Bravo !
Sources :
- Livret de la reprise 2015 de la pièce Sans rancune, édité par le Théâtre du Palais-Royal et Mazarine Culture ;
- Dossier BNF consacré à la création de Sans rancune (1992) ;
- Dossier de presse du Théâtre des Célestins de Lyon consacré à la création lyonnaise de Sans rancune (1993)
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