vendredi 31 mai 2013

Origins, Selected Letters of Charles Darwin 1822-1859, Cambridge University Press, 2009

 
Ce recueil de lettres de C. Darwin permet de nous éclairer quant aux circonstances ayant entouré l’émergence, puis la formulation de la théorie de l’évolution des espèces : si l’on exclut quelques écrits de Darwin alors qu’il est encore un enfant, les premières lettres portent sur la préparation du voyage autour du monde du Beagles à bord duquel Darwin embarque pour cinq ans en tant que jeune naturaliste, ce qui lui permet de constituer ses premières collections de minéraux, végétaux et animaux prélevés en dehors de l’Angleterre, et qui lui permet également d’observer in situ les écosystèmes extra-européens, notamment ceux de la forêt tropicale brésilienne, la Terre de Feu, les Andes, les Îles Galapagos ou les atolls coraliens du Pacifique. Les dernières lettres décrivent les tensions entourant la publication tant attendue, en 1859, de son ouvrage L’Origine des espèces.

D’un point de vue scientifique, il est intéressant de suivre la pensée de Darwin à mesure que se renforce son intuition sur la mutabilité des espèces, à peine exprimée dans un premier temps pour ne pas se mettre à dos les autorités religieuses, mais qu'il affirme avec une force croissante à mesure qu'il devient convaincu que dans la variabilité des espèces réside un des principaux mystères du monde. Et Darwin n’affirme rien à la légère, mais qu’il s’efforce de vérifier, revérifier et survérifier chacune de ses intuitions en prenant appui sur un faisceau de preuves multiples, dont fait partie son modèle de distribution des espèces fondé sur des études géologiques et aussi sur des expérimentations surprenantes. Darwin s’échine ainsi à démontrer que les graines des plantes les plus variées, notamment celles de son potager, peuvent germer même après une immersion de plusieurs semaines dans de l’eau saumâtre. Il cherche ainsi à prouver que le peuplement animal et végétal des îles est issu du continent dont elle sont le plus proches, mais que par la suite, en fonction de l’isolement de ces îles, ces espèces subissent des évolutions propres. Darwin étude ainsi longuement les cirripèdes / barnacles dont il rassemble des collections en provenance de différentes régions du monde afin de s’assurer de leur appartenance à une espèce commune, mais avec des différences en fonction de leur milieu naturel.

On imagine très bien qu’il aurait pu en rester à l’étude de sujets périphériques, amassant les preuves de la variabilité des espèces à l’infini, se contentant d’écrire des études très sectorielles et ultra-scientifiques, s’il n’avait été piqué par ses amis scientifiques, notamment Lyell et Hooker, le pressant de publier un résumé condensé à destination du grand public des résultats de ses recherches sous peine de se voir dépossédé de la paternité de son idée centrale par un certain Wallace dont les thèses sont très proches de celles de Darwin. C’est cet aiguillon qui pousse Darwin à publier son « petit » ouvrage de 500 pages en 1859, L’Origine des espèces.

Outre le cheminement des raisonnements scientifiques abordés dans sa correspondance avec ses collègues, il est intéressant de voir la façon dont s’interpénètrent ses préoccupations théoriques avec sa vie au jour le jour. On voit que sa santé le préoccupe beaucoup, notamment son estomac ; il est touchant dans ses rapports avec sa famille, avec son père, avec sa femme, notamment au moment de ses fiançailles et de son mariage, puis avec ses enfants dont l’avenir le préoccupe beaucoup. On le voit emménager puis se fixer dans sa maison de Downe au sud de Londres, et il est étonnant de constater à quel point Darwin est en fait un homme statique, rechignant même à se rendre à Londres tout proche, alors qu’il a commencé sa carrière par un immense périple l’ayant mené aux antipodes - le voyage du Beagles apparaît finalement comme une « anomalie » dans sa carrière, entrepris dans un but scientifique, même s’il a été sensible à la poésie des paysages andins notamment.

Certains critiques lui ont reproché de manquer de style, néanmoins cette correspondance nous permet de découvrir les qualités qui ont fait de lui le plus grand scientifique du 19e siècle : une modestie exemplaire, alors qu'il est en train de révolutionner la science moderne, une innocence et une fraîcheur rares qu’il conservera tout au long de sa vie, et aussi une amabilité exquise envers son entourage familial et ses amis.


 
 






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