Ce recueil de
lettres de C. Darwin permet de nous éclairer quant aux circonstances ayant
entouré l’émergence, puis la formulation de la théorie de l’évolution des
espèces : si l’on exclut quelques écrits de Darwin alors qu’il est encore
un enfant, les premières lettres portent sur la préparation du voyage autour du
monde du Beagles à bord duquel Darwin embarque pour cinq ans en tant que jeune naturaliste,
ce qui lui permet de constituer ses premières collections de minéraux, végétaux
et animaux prélevés en dehors de l’Angleterre, et qui lui permet également d’observer
in situ les écosystèmes
extra-européens, notamment ceux de la forêt tropicale brésilienne, la Terre de
Feu, les Andes, les Îles Galapagos ou les atolls coraliens du Pacifique. Les
dernières lettres décrivent les tensions entourant la publication tant attendue,
en 1859, de son ouvrage L’Origine des
espèces.
D’un point de vue
scientifique, il est intéressant de suivre la pensée de Darwin à mesure que se
renforce son intuition sur la mutabilité des espèces, à peine exprimée dans un
premier temps pour ne pas se mettre à dos les autorités religieuses, mais qu'il affirme
avec une force croissante à mesure qu'il devient convaincu que dans la variabilité
des espèces réside un des principaux mystères du monde. Et Darwin n’affirme rien à la légère, mais qu’il s’efforce de
vérifier, revérifier et survérifier chacune de ses intuitions en prenant appui
sur un faisceau de preuves multiples, dont fait partie son modèle de distribution des espèces fondé
sur des études géologiques et aussi sur des expérimentations surprenantes.
Darwin s’échine ainsi à démontrer que les graines des plantes les plus variées,
notamment celles de son potager, peuvent germer même après une immersion de
plusieurs semaines dans de l’eau saumâtre. Il cherche ainsi à prouver que le peuplement animal
et végétal des îles est issu du continent dont elle sont le plus proches, mais
que par la suite, en fonction de l’isolement de ces îles, ces espèces subissent
des évolutions propres. Darwin étude ainsi longuement les cirripèdes /
barnacles dont il rassemble des collections en provenance de différentes
régions du monde afin de s’assurer de leur appartenance à une espèce commune,
mais avec des différences en fonction de leur milieu naturel.
On imagine très
bien qu’il aurait pu en rester à l’étude de sujets périphériques, amassant les
preuves de la variabilité des espèces à l’infini, se contentant d’écrire des
études très sectorielles et ultra-scientifiques, s’il n’avait été
piqué par ses amis scientifiques, notamment Lyell et Hooker, le pressant de
publier un résumé condensé à destination du grand public des résultats de ses
recherches sous peine de se voir dépossédé de la paternité de son idée centrale
par un certain Wallace dont les thèses sont très proches de celles de Darwin. C’est
cet aiguillon qui pousse Darwin à publier son « petit » ouvrage de
500 pages en 1859, L’Origine des espèces.
Outre le
cheminement des raisonnements scientifiques abordés dans sa correspondance
avec ses collègues, il est intéressant de voir la façon dont s’interpénètrent
ses préoccupations théoriques avec sa vie au jour le jour. On voit que sa santé
le préoccupe beaucoup, notamment son estomac ; il est touchant dans ses
rapports avec sa famille, avec son père, avec sa femme, notamment au moment de
ses fiançailles et de son mariage, puis avec ses enfants dont l’avenir le préoccupe
beaucoup. On le voit emménager puis se fixer dans sa maison de Downe au
sud de Londres, et il est étonnant de constater à quel point Darwin est en fait un homme
statique, rechignant même à se rendre à Londres tout proche, alors qu’il a
commencé sa carrière par un immense périple l’ayant mené aux antipodes -
le voyage du Beagles apparaît finalement comme une « anomalie » dans sa
carrière, entrepris dans un but scientifique, même s’il a été sensible à la
poésie des paysages andins notamment.
Certains critiques lui ont reproché de manquer de style, néanmoins cette correspondance nous permet de découvrir les qualités qui ont fait de lui le plus grand scientifique du 19e siècle : une modestie exemplaire, alors qu'il est en train de révolutionner la science moderne, une innocence et une fraîcheur rares qu’il
conservera tout au long de sa vie, et aussi une amabilité exquise envers son
entourage familial et ses amis.
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