jeudi 9 mai 2013

Grisélidis Réal, Le noir est une couleur, Folio, Gallimard, 2007, publication initiale en 1974

La narratrice / l’auteur nous entraîne dans le sillage de sa vie mouvementée. Elle n’est pas faite pour vivre une vie tranquille : le métro, le boulot, le dodo, la routine, ce n’est pas pour elle. Lorsqu’elle fait un choix, elle prend toujours la route la plus improbable, la plus chaotique, mais aussi la plus intense. Ses amants –noirs - sont le réceptacle de ses sentiments passionnés : d’abord Bill, puis Roy (« Petit Chou-Chou tout noir »), puis enfin et surtout Rodwell. Copieusement battue, se débattant dans les difficultés matérielles, séparée de ses enfants, la narratrice n’inspire pourtant pas la pitié. Chaque épreuve traversée est l’occasion pour elle de rebondir et de se relancer dans la vie. On ne sait d’où lui vient cette énergie vitale phénoménale, peut-être de tout l’amour qu’elle donne à / reçoit de ses amants, puisqu’elle se fait rapidement putain au cours du livre, ainsi que du soutien affectueux de sa famille tzigane, et de ses copines putains comme elle, notamment Big Mamma Schakespeare.
 

Il est rare de se retrouver face à des profils aussi anticonformistes que celui qui prend chair à la lecture de ce livre, qui constitue le témoignage d’une autre époque, entièrement tournée vers la libération de tous les jougs, vers l’affirmation de son moi original à l’encontre de tous les corsets imposés par une société encore très raide, brutale et conservatrice – nous sommes au sortir de la guerre et l’Allemagne se relève lentement de ses ruines et de sa culpabilité, certes, mais nous sommes également à la veille de mai 68 avec la référence aux beatniks qui traînent leurs savates dans tous les squares de la ville.
 

Aujourd’hui, même s’il est vrai que les choses ont changé et que nous sommes entièrement absorbés par notre nécessité de survivre et de l’emporter face à la concurrence, il est bon de s’arrêter une seconde dans notre course et d’écouter ces voix venues du passé qui ont quelque chose à nous dire en termes de philosophie personnelle – relativiser, distancer, s’extraire du monde communicant, méditer un peu tout en s’inspirant de l’énergie vitale démontrée par la narratrice tout au long de sa vie misérable et merveilleuse à la fois.

A noter le passage au cours duquel la narratrice passe une nuit de transe hallucinée après avoir absorbé de la mescaline en compagnie de son amour Rodwell. La chambre de la Grande Maison Rouge, sorte de bordel à soldats dans lequel l’essentiel de l’action se déroule, prend une dimension fantastique, à tel point qu’elle paraît visitée par une cohorte d’esprits facétieux. Tous ceux qui se sont allongés dans un état de transe aux côtés de leur amant noir comprendront parfaitement le sentiment que la narratrice essaie de dépeindre…
 


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