jeudi 23 octobre 2014

La Religieuse, Denis Diderot, 1780, publication à titre posthume en 1796

Denis Diderot (naît en 1713 à Langres ; décède en 1784 à Paris), philosophe des Lumières, théologien et juriste, il est à l'origine du projet de l'Encyclopédie. Il cherche à démontrer que l'homme se plaît à être bon. Il veut également démontrer que la recherche du bien individuel coïncide avec l'atteinte du bien commun. 

Le projet d'écriture de La Religieuse trouve son origine dans un calembour monté par Diderot et quelques amis à l'encontre de leur ami commun le Marquis de Croismare. Les premiers parviennent à intéresser ce dernier au sort d'une prétendue religieuse cloîtrée de force, ayant fui son couvent, en lui adressant une correspondance apocryphe de même qu'un mémoire censé avoir été rédigé par l'ex-nonne, soeur Suzanne, dans lequel elle fait le récit de son passage par deux institutions, les couvents de Longchamp puis de Saint-Eutrope, dépeignant du même coup les horreurs de la vie monacale.

A Longchamp, elle est confrontée à l'hostilité de la mère supérieure derrière laquelle vient bientôt se ranger la quasi-totalité de la communauté, notamment à partir du moment où soeur Suzanne annonce publiquement qu'elle veut revenir sur ses voeux en justice, risquant ainsi d'attirer l'opprobre sur le couvent tout entier. En effet, Suzanne cherche à démontrer qu'elle a été forcée par sa famille de rejoindre la communauté, et qu'elle n'a pas agi de son plein gré. Par conséquent, elle ne peut continuer, sous peine d'hypocrisie sacrilège, de mener un type de vie pour lequel elle ne se sent pas appelée. Ce reniement déclenche un ouragan au sein de la communauté qui se lie tout entière pour faire subir à Suzanne les pires sévices, au nom de Dieu et de la religion.

Suzanne finit par perdre son procès. Toutefois, aidée par les autorités ecclésiastiques venues à s'intéresser à son cas, choquées même du traitement qu'elle reçoit, soutenue par son avocat décidé à tout faire pour adoucir son sort, Suzanne change, enfin, d'institution. Elle passe alors d'un extrême à l'autre.

De la haine à laquelle elle était confrontée à Longchamp, elle passe à l'amour débordant, envahissant et quasi-charnel que lui voue la mère supérieure de Saint-Eutrope. Alertées, les autorités de l'Eglise font les reproches les plus durs à la mère supérieure qui, privée de l'objet de son affection (il est strictement défendu à Suzanne de s'approcher d'elle), en proie au doute et aux remords quant à ses penchants, finit par perdre la raison et par en mourir. Cet évènement qui se déroule dans des circonstances tragiques (altération du bon naturel de la supérieure qui entre dans une période d'effroyable pénitence avant de rendre l'âme) décide Suzanne à finalement quitter subrepticement le couvent, au risque d'être confrontée à l'hostilité du monde du dehors qu'elle ne connaît pas.

Le lecteur ne peut s'empêcher d'être captivé par le récit des aventures pathétiques de soeur Suzanne, qui le tient en haleine de bout en bout de ce petit ouvrage (280 pages). Mais entre les tableaux successifs extrêmement vivants et réalistes de la vie au couvent que Diderot parvient à matérialiser devant les yeux des lecteurs, nous retrouvons parfois des argumentaires de style philosophique qui font contraste : nous étions en plein romanesque, nous nous retrouvons dans un essai extrêmement argumenté critiquant la privation de liberté entraînée par la réclusion des jeunes filles et des jeunes hommes, particulièrement quand les jeunes gens n'ont pas la vocation. L'auteur utilise ainsi la technique de l'interrogatoire contradictoire, ce qui permet un exposé rapide, presque brutal, des raisons qui motivent Sainte-Suzanne à agir comme elle le fait. Il en est ainsi du dialogue suivant entre la mère supérieure de Longchamp et soeur Suzanne, alors qu'elle entame ses démarches de renonciation à ses voeux :

"Comment, soeur Sainte-Suzanne, me dit-elle, vous voulez nous quitter ?
- Oui, madame.
- Et vous allez appeler de vos voeux ?
- Oui, madame.
- Ne les avez-vous pas faits librement ?
- Non, madame.
- Et qui est-ce qui vous a contrainte ?
- Tout.
- Monsieur votre père ?
- Mon père.
- Madame votre mère ?
- Elle-même.
- Et pourquoi ne pas réclamer aux pieds des autels ?
- J'étais si peu à moi que je ne me rappelle pas même y avoir assisté.
- Pouvez-vous parler ainsi ?
- Je dis la vérité."
 






Afin de terminer cet article en rendant hommage à l'élégance et à la justesse de l'écriture de Diderot, qui parvient à nous toucher avec l'histoire de cette nonne qui jamais ne quitte les accents de la sincérité la plus pure, ni ceux d'une honnêteté indéfectible malgré l'acharnement auquel elle doit faire face, je citerai les derniers mots de l'ouvrage :

"Je suis une femme, peut-être un peu coquette, que sais-je ?
Mais c'est naturellement et sans artifice." 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire